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[Bande dessinée] « En falsh » : plongée dans les banlieues françaises


À l'instar de Mathieu Kassovitz dans La Haine, Oz raconte la banlieue sans fard ni idée reçue, en plongeant les mains dans le cambouis. (Illustration : DR)

Sur fond de trafic de drogue, En falsh «décrypte les mécanismes d’interactions sociales» au cœur d’un quartier, à travers ses protagonistes «galériens» qui, chacun à sa manière, cherche à se dessiner un avenir meilleur.

«On est là, on est là!», lâchent-ils régulièrement, comme un mantra, peut-être pour se convaincre qu’ils existent vraiment. Oui, ils sont bien là, à squatter les entrées des blocs, à s’ennuyer à mourir, à tailler le bout de gras, à se chambrer et, surtout, à participer au trafic de shit (ou de coke, c’est selon), activité indispensable au quartier, car tentaculaire. Ici, chacun en est le maillon, de près ou de loin, du caïd aux petites mains, en passant par les «nourrices» et autres «mules». Chacun joue son rôle, histoire de ramasser quelques billets ou de quoi fumer, pour rendre la vie un peu plus rose, ou plutôt moins grise…

Inspiré par sa jeunesse dans le milieu, apprend-on, l’auteur, Patrick Wong, alias Oz (Les 5 Terres), cherche avec cette nouvelle série à s’approcher au plus près de la réalité, à s’infiltrer parmi les groupes, à saisir les discussions, comme les longs moments d’ennui, entre les boites à lettres défoncées et l’ascenseur en panne. Comme un sociologue, il donne en effet autant d’importance au poids du silence qu’aux joutes verbales à travers un argot fleuri, à l’instar de ce titre qui frappe («en falsh» signifie, en gros, quelque chose de discret, de caché, propre aux affaires illégales).

Bien sûr, dans ce rapport de proximité, il arrive à souligner, avec brio, cette violence à fleur de peau, quasi palpable. Dans le verbe, certes, mais dans les corps aussi. Une agression dans le RER est ainsi la conséquence d’une déception amoureuse, le tabassage (à la ceinture) de deux jeunes voleurs est lui utile pour sécuriser la clientèle… Bref, il agite le briquet au-dessus de la poudrière, surtout, d’ailleurs, au-dessus de deux foyers principaux.

Le premier, familial, tient dans les rapports d’une fratrie naviguant dans l’illégalité, où chacun des membres s’estime supérieur aux autres. L’un, réfléchi, se la joue «Stringer Bell», s’appuyant sur ses cours d’économie pour asseoir son système. Le second, lui, veut aller plus vite que la musique et se lance dans la coke, quitte à y laisser des plumes. Enfin, le dernier, l’aîné, n’avance plus, puisqu’il est en prison, mais tente toujours de contrôler le jeu à distance.

La banlieue abordée dans toutes ses ramifications, ou plutôt, tout son réseau

C’est à travers ce trio que l’auteur décortique la machine, développe le point de vue des délinquants, les stratégies entrepreneuriales, le salaire des différents postes, le fonctionnement du réseau et son quotidien, le blanchiment d’argent… Au bout, un même espoir, commun : l’autonomie financière, qui sait, devenir même un «Jean-Michel» qui n’habite plus chez ses parents.

Avec cette loupe grossissante posée à flanc d’immeubles et à ras de trottoir, En falsh donne à réfléchir à cette affirmation : «Quand les institutions broient des individus, ces derniers ne se retournent pas contre elle, mais contre eux-mêmes.» Toutefois, le récit donne une bouffée d’air à cet entre-soi en abordant la problématique à travers un autre regard, extérieur, celui d’un maire sortant et d’une prétendante parachutée, sur fond de campagne municipale, rappelant, au passage, que cet univers n’est pas non plus avare en coups bas…

C’est d’ailleurs l’ambition de la série – qui doit se décliner en cinq tomes : aborder la banlieue, d’accord, mais dans toutes ses ramifications, ou plutôt, tout son réseau. Ainsi, Delcourt précise que la suite abordera, dans l’ordre, la bataille des copropriétaires face aux nuisances, le remplacement de la prévention par la judiciarisation, le milieu hospitalier et enfin, l’éducation.
Une approche qui ramène inexorablement à la série américaine The Wire, considérée comme l’une des toutes meilleures jamais créées, et qui, justement, dresse l’état de la banlieue de Baltimore à travers ses multiples acteurs : trafiquants, drogués, policiers, professeurs, politiques, journalistes…

Saluons donc l’ambitieux projet d’Oz, qui cherche lui aussi à ne pas tomber dans la caricature facile et à aborder le sujet comme il se doit, à savoir comme un assemblage de poupées gigognes, dépendantes les unes des autres. Un slalom de fond qu’il réalise en compagnie de Bastien Sanchez, aux traits fins et rares, rappelant le travail de Bastien Vivès. C’est certain, son économie de moyens et son dessin réaliste en noir-blanc-gris ramène à un modèle cinématographique du genre : La Haine (1995). Oui, osons rapprocher Oz de Mathieu Kassovitz, ne serait-ce que pour cette honnêteté qui les unit : celle de raconter la banlieue sans fard ni idée reçue, en plongeant les mains dans le cambouis. Chose que se refuse de faire la France depuis près d’un demi-siècle.

Grégory Cimatti

En falsh, d’Oz & Bastien Sanchez. Delcourt.

 

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