L’ambassadeur de France au Luxembourg revient sur les relations entre les deux pays. Guy Yelda a vu la fin des années Juncker, l’avènement de Xavier Bettel, et doit gérer, au quotidien, le cas Cattenom dans une relation franco-luxembourgeoise au beau fixe, sur fond d’affaire LuxLeaks.
Le Quotidien : Comment se porte le couple franco-luxembourgeois?
Guy Yelda : Nous avons de façon générale avec le Luxembourg une relation de proximité historique, géographique et culturelle naturelle. Les liens politiques sont excellents. Nous avons eu la visite du président de la République François Hollande en 2015, celle du Premier ministre Manuel Valls cette année, la visite des présidents des deux assemblées, des ministres. La relation politique est dense et nourrie comme elle doit l’être. C’est normal qu’elle le soit avec un pays voisin. Il n’y a pas motif de s’en féliciter particulièrement.
La centrale nucléaire de Cattenom constitue-t-elle toujours un point d’achoppement?
Avec les questions de fiscalité, Cattenom est la principale pomme de discorde. Alors nous faisons deux choses. D’abord, nous sommes dans une transparence totale avec les pays frontaliers pour tout ce qui touche à la sûreté nucléaire. Dès qu’il y a un problème, il est inventorié et rendu public. Comme la transparence est plus forte qu’il y a cinq-six ans, il y a plus d’incidents qui sont reportés. C’est mécanique. On a fait des exercices communs, mais nous savons très bien que c’est une épine dans le cœur de nos amis luxembourgeois.
Nous avons voté l’année dernière une loi de transition énergétique où nous acceptions de réduire la part du nucléaire à 50 % à l’horizon 2025. Je ne pensais pas que ce soit possible parce qu’il n’y a pas si longtemps, nous pensions être dans un système de seringue. Le nucléaire était programmé sur tellement longtemps qu’on ne pouvait pas choisir autre chose, que l’avenir était contraint par les choix du passé. Avec ce qu’a décidé François Hollande et mis en œuvre Ségolène Royal, nous avons décidé de passer de 75 à 50 % de la part du nucléaire dans notre mix énergétique.
La deuxième chose que nous avons faite est de donner la priorité à la fermeture des centrales à nos frontières. Soyons honnêtes, ce n’est pas parce que nous avons dit que nous le ferions que nous avons un calendrier. Le calendrier n’est pas défini. Si nous avions une injonction de l’Autorité de sûreté nucléaire, celle-ci serait suivie. L’idée générale est de donner une priorité pour la fermeture à Fessenheim et aux autres centrales voisines des frontières. Moi qui ai vécu la création de ces centrales, il faut savoir qu’on ne les a pas mises aux frontières pour qu’elles soient le plus lointaines du centre de la France, mais bien parce que les centrales ont besoin d’un refroidissement et que ce sont les fleuves qui font les systèmes de refroidissement. Et que nous avons prévu de vendre de l’électricité aux pays voisins. Il n’y a pas de calendrier pour la fermeture de Cattenom, qui est une des centrales les plus récentes.
Autre point de discussion actuellement, la réforme fiscale pourrait directement impacter les travailleurs frontaliers. Qu’en est-il?
Quand nous avons vu cette réforme annoncée à la Chambre des députés, nous avons souhaité être vigilants pour le sort de 90 000 compatriotes qui traversent la frontière tous les jours et qui sont très heureux d’avoir un emploi au Luxembourg. Leur fiscalité va changer et nous nous sommes enquis de savoir quel serait leur système de taxation à terme.
Le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a fait un effort d’explication auprès de ses deux homologues français, messieurs Michel Sapin (Finances) et Christian Eckert (Budget) . Nous comprenons l’architecture générale du projet. Il ne fait pas de doute qu’elle va avoir des conséquences sur les frontaliers, mais nous n’y voyons pas de problème particulier, car nous avons les mêmes règles fiscales chez nous.
Le Luxembourg est également stigmatisé pour sa fiscalité très attractive pour les multinationales.
Il y a des travaux pour harmoniser l’assiette fiscale pour les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (BEPS). Il est exact que certains États ont été plus généreux que d’autres avec certaines entreprises. Et quand je dis certains États, ça veut dire qu’il y en avait plus d’un. L’idée, c’est d’harmoniser les choses. Naturellement, la France est très allante pour cette normalisation et chaque pas fait par le gouvernement luxembourgeois va dans le bon sens. Nous l’apprécions.
Les efforts qui ont été faits sont notables, mais ce n’est pas totalement terminé. La fiscalité des personnes est réglée avec l’échange automatique. Le BEPS concerne probablement des sommes plus conséquentes et peut-être des gens un peu plus avertis des différentes combinaisons fiscales que l’on peut faire dans le monde entier.
Ces pratiques ont été mises au jour lors de l’affaire LuxLeaks. À un mois du procès en appel de Raphaël Halet, Antoine Deltour et Édouard Perrin, ce dossier a-t-il des conséquences sur les relations franco-luxembourgeoises?
La loi Sapin 2 donne un statut aux lanceurs d’alerte et nous avons suivi ce procès comme celui de tout Français jugé à l’étranger. Nous aurions prêté concours consulaire à nos compatriotes s’ils en avaient fait la demande, ce qui n’a pas été le cas pour être très clair. Notre travail s’est limité à relater ce qui s’est passé et ce qui va venir.
Le fait que les lanceurs d’alerte soient français a-t-il selon vous des conséquences sur le développement d’une défiance vis-à-vis des Français au Grand-Duché, notamment en ce qui concerne la langue?
Je suis peut-être privilégié, et c’est probable. Ce n’est pas auprès de moi qu’on se plaindrait en premier. J’ai constaté, notamment lors des attentats, une très grande sympathie de tout le Luxembourg pour la France qui avait été meurtrie. Cattenom est un caillou dans une relation qui est excellente. Je ne ressens pas ce sentiment de défiance.
La question de la langue est probablement liée à tout ce qui peut germer en Europe en ce moment dans tous les pays. Il faut que le débat ait lieu de façon démocratique. Nous sommes dans un pays trilingue et l’intérêt est qu’il le soit. Je serais très heureux de voir que chez nous, on a des enfants qui parlent au moins trois langues dès le départ. Je ne vis pas ça comme quelque chose de négatif.
Le fait que les trois personnes concernées par LuxLeaks soient françaises me semble plutôt relever du hasard. Peut-être que parce qu’ils sont français, ils ont plus d’écho dans notre pays. Nous avons confiance en la justice luxembourgeoise.
En tant qu’ambassadeur de France, vous ne pouvez pas vous exprimer sur la politique gouvernementale mais vous faites tout de même partie de la promotion de François Hollande à l’ENA. Quel camarade était-il?
Il avait des qualités qu’il a toujours. Il était quelqu’un de très chaleureux, très charismatique, même si certains lui font le reproche de ne pas l’être assez parfois. C’est quelqu’un qui était choisi comme délégué de promotion sans problème aucun, quelles que soient les opinions politiques de chacun. C’est-à-dire que son énergie, sa bonne humeur, son humour entraînaient un consensus sur sa personne et je n’ai eu qu’à me féliciter d’avoir été son ami depuis ces années-là. On est très ému quand on voit quelqu’un qui arrive à ce genre de fonction.
Déjà quand il était chef de l’opposition, je trouvais que c’était énorme et j’étais très fier de lui. Il a aussi une grande qualité, il s’intéresse aux autres. C’est-à-dire que si dans une matière vous aviez une difficulté et qu’il pouvait vous aider, il vous aidait. Il était la personne qui vous donnait du tonus et de l’énergie. Et aussi, il a un grand, grand sens de l’humour.
La France s’interroge : va-t-il se représenter l’année prochaine? Avez-vous un avis sur cette question?
Il a aussi un autre trait de caractère : il est très secret. Je pense que sur cette question, personne ne connaît le fond de sa pensée.
L’été prochain, vous quitterez vos fonctions d’ambassadeur au Luxembourg. Quelle image conserverez-vous du pays?
Quatre ans de relation de travail de fond et de forme très agréable, à aider à bâtir au quotidien une relation très importante pour la France. C’est l’idée d’avoir fait un travail utile, mais ce ne sera pas à moi de le juger, ce sera aux autres. Le souvenir, c’est aussi celui d’un pays où il est très agréable de vivre, même si le soleil n’est pas la chose la plus répandue. Mais c’est un pays que je quitterai avec grand regret.
Christophe Chohin