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Jean Portante, un tableau de famille et une fresque primés


Jean Portante, natif de Differdange, réside à Paris et continue de raconter sa vie à travers ses fictions. (Photo Isabella Finzi)

Jean Portante revient sur « L’Architecture des temps instables ». Ce roman magnifique, de quelque 470 pages, publié en novembre dernier aux éditions Phi, lui a valu le prix Servais 2016.

Né à Differdange en 1950 dans une famille italienne, Jean Portante publie ses premiers textes dans les années 80. Poésies, romans, traductions : l’homme de lettres raconte la migration à sa manière. Déjà titulaire des prix Tony-Bourg en 1993, prix Louis-Montalte et prix Mallarmé en 2003 et prix Batty-Weber pour l’ensemble de sa carrière en 2011, il se verra remettre, le 4 juillet, le prix Servais, qu’il a déjà remporté en 1994. Rencontre.

Le roman

Jean Portante : L’idée première était de tisser une toile sur un fond de migration. La migration est l’arrière-fond de tous mes livres. Surtout celle des Italiens vers le Luxembourg, que je connais bien, puisque j’en suis le résultat. C’est aussi quelque part un résumé du XXe siècle. Ça commence même vers 1870, car il y a déjà une génération de la famille Fontana déjà racontée par la grand-mère dans ces eaux-là, puis on a Guido Fontana qui va mourir à la fin de la Grande Guerre, son fils Alessandro qui va connaître la Seconde Guerre mondiale et il y a même une quatrième génération qui viendra à la fin.

Parallèlement, il y a une autre filiation, les Rossi, avec le demi-frère d’Alessandro, Toni, liés par une mère commune. C’est donc une narration en plusieurs étages avec ces personnages jetés dans ce XXe siècle qui bouillonne et confrontés à ses grandes tragédies – il sera aussi question de la guerre froide, de l’Allemagne de l’Est, de Cuba… Là, la grande tragédie se voit aussi dans de petites tragédies humaines. La famille pense d’ailleurs être maudite, mais ce qu’elle a vécu n’est pas un cas exceptionnel. En résumé, le livre, c’est : la migration, le siècle perturbé et des destins personnels tragiques.

La structure

La structure du roman est assez complexe. Je suis un poète qui écrit des romans. J’ai donc voulu rapprocher ce roman le plus possible du poème. J’ai donc fait des strophes. Chaque petit chapitre fonctionne donc comme une strophe d’un long poème épique. Cela m’a permis de voir chaque partie, de la travailler, la tailler, la polir comme dans un poème. Tout ça donne une histoire kaléidoscopique où les éléments s’assemblent petit à petit comme dans un puzzle avec tout un tas de pièces qui s’assemblent au fur et à mesure et qui à la fin donnent le tableau complet, à ceci près qu’il y a une pièce manquante. La plus importante. Celle qui recèle le grand secret de cette famille.

Une fiction ?

Toute cette histoire est bien sûr liée à ma biographie, sauf que tout ce qu’il y a dans le livre est entièrement inventé. Je pense que la définition même de la littérature, c’est une rencontre entre l’autobiographie et la fiction. Quand Daniel Defoe écrit Robinson Crusoe (NDLR : publié en 1719), il commence à la première personne et explique que Crusoe n’est pas né en Angleterre, mais en Flandres et qu’il a changé de nom, etc. Tout ça c’est l’histoire même de Defoe aurait émigré vers l’Angleterre et a changé son nom. Bref, même dans Robinson Crusoe qu’on ne peut pas taxer de roman autobiographique, il y a des éléments autobiographiques de son auteur. C’est pareil pour moi. Il y a tout un tas d’éléments sur moi, ma vie, ma famille, mon entourage qui sont dans ce livre, mais du fait qu’ils sont dans une histoire inventée de toutes pièces, ils deviennent éléments de fiction.

Le prix Servais

Je suis étonné de ce choix. Un prix est toujours bienvenu. Il signifie qu’il y a des lecteurs et, parmi eux, de gens qui font partie d’institutions et qui trouvent que ce qu’on a écrit vaut quelque chose. Ça fait plaisir, c’est agréable, mais il faut aussi relativiser, car ils peuvent aussi se tromper ! Pour moi, ce prix s’inscrit dans toute une série et si on met tous ces prix bout à bout, ça dit quand même quelque chose sur ce que je fais. Et puis, être primé au Luxembourg, un de mes pays – je suis né au Luxembourg et j’ai passé là toute mon enfance, mon adolescence, ma scolarité… j’ai donc un lien très étroit avec ce pays, sans aller jusqu’à dire que mes racines sont là, puisque je ne crois pas au mensonge des racines – ça a bien entendu une saveur particulière.

L’avis du jury

Je pense que le jury a fait une lecture très juste du livre. Après, il y a tellement d’éléments dans ce roman que s’ils avaient voulu en rendre compte, ils auraient dû faire un argumentaire de trop de pages. Ils se sont donc concentrés sur ce qui est pour eux et pour les Luxembourgeois l’essentiel, c’est-à-dire le fait que le roman inscrive l’histoire du pays dans la grande histoire universelle. Après, il y a un autre élément central du livre dont il n’est pas du tout question dans l’argumentaire, c’est le fait que c’est un livre sur la relation père-fils.

La remise du prix

Je vais recevoir le prix le 4 juillet prochain au Centre national de littérature. Je compte, dans mon discours, parler sur la migration. Car je ne serais pas là, à Mersch, sans la migration. Je vais donc relier ça avec l’actualité, critiquer le non-sens de la politique européenne actuelle et rappeler combien cette migration est enrichissante pour chaque pays. Regardez les avant-gardes du XXe siècle en France, c’est Picasso, Cendrars, Chagall, Apollinaire, Ionesco, Beckett ou encore Adamov. Il n’y a pas un nom français dans tout ça! Ce sont les apports migratoires qui enrichissent toujours les sociétés !

Recueilli par Pablo Chimienti

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