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Au Soudan du Sud, les morts s’empilent et personne ne les compte


Des corps, a priori de civils, tués à Bor, au Soudan du Sud, le 27 janvier 2014. (Photo : AFP)

Les horreurs de la guerre civile au Soudan du Sud sont largement répertoriées mais une inconnue majeure subsiste: celle du nombre de personnes tuées depuis le début de ce conflit sanglant, en décembre 2013.

Des civils ont été tués, brûlés, castrés, pendus, noyés, asphyxiés ou sont morts de faim. Leurs corps ont été abandonnés ou entassés dans des fosses communes. Un cas de cannibalisme forcé a même été recensé. Quelques mois après le début de la guerre, l’ONU a avancé le nombre de 10 000 morts et s’est tenue à cette estimation, alors que les tueries s’accéléraient et s’étendaient à tout le pays, jusqu’en mars 2016, lorsqu’elle a fait état d’au moins 50 000 victimes.

Ce même bilan de 50 000 morts avait été avancé dès novembre 2014 par le centre de réflexion International Crisis Group (ICG), qui suit de très près ce conflit. Pour Eric Reeves, professeur au Smith College (Etats-Unis) et spécialiste des deux Soudan, l’incapacité à comptabiliser les morts est une faute morale. «Si on renonce à estimer la mortalité, alors ça revient à dire que, d’une manière ou d’une autre, les vies ne comptent pas vraiment», dit-il. Pour des travailleurs humanitaires et officiels préférant conserver l’anonymat, le total des morts pourrait avoisiner les 300 000, soit autant qu’en cinq ans de guerre en Syrie.

«Le niveau et l’intensité des violences sont bien supérieurs à tout ce que nous avons vu presque n’importe où ailleurs», témoigne un humanitaire habitué aux zones de conflit. Plus de 30 humanitaires ont été tués depuis le début de la guerre.

L’ONU a « perdu le compte »

Le chiffre plancher de 50 000 correspond au nombre de victimes directes du conflit. Mais si on prend en compte ses retombées indirectes, le total grimpe en flèche. Il faut alors prendre en compte ceux qui meurent de faim, alors que les belligérants bloquent l’acheminement de l’aide, ou les victimes d’atrocités à grande échelle, comme ces 60 civils que les troupes gouvernementales ont laissé suffoquer dans un conteneur placé en plein soleil, en octobre 2015. Il faut aussi inclure les morts faute d’avoir reçu les soins adéquats, après la destruction ciblée d’hôpitaux. Médecins sans frontières a mis en garde contre les «conséquences considérables pour des centaines de milliers de personnes» après que six de ses centres de soins eurent été attaqués, pillés, ou brûlés, parfois à plusieurs reprises.

De nombreux groupes armés ont perpétré des massacres ethniques et, malgré la signature d’un accord de paix en août 2015, les combats continuent en plusieurs endroits où des factions ont des intérêts locaux. Les batailles ont été menées avec des équipements modernes: hélicoptères de combat, lance-roquettes, artillerie lourde ou tanks amphibies pour traquer les rebelles dans des marais isolés. Des capitales provinciales ont été détruites. Certains chiffres sont connus: 2,3 millions de personnes ont été chassées de chez elles; 6,1 millions ont un besoin urgent d’aide alimentaire; 15 000 enfants soldats ont été recrutés; 200.000 civils sont abrités dans des camps de déplacés de l’ONU, qui a besoin de 1,1 milliard d’euros d’aide.

Mais aucun décompte fiable n’existe pour les morts. Le patron des opérations humanitaires de l’ONU, Hervé Ladsous, a reconnu la semaine dernière que les Nations unies avaient «perdu le compte».

Stress post-traumatique

Le décompte des morts en zone de guerre n’est pas aisé à effectuer mais pas non plus impossible. Et les rares tentatives de le faire au Soudan du Sud ont montré des taux de mortalité sidérants. Selon une étude du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), basée sur plus de 1 500 interviews menées dans tout le pays, 63% des personnes interrogées ont perdu un membre proche de leur famille. Elle montre aussi que 18% ont eu un enfant enlevé, 14% ont été torturées, 33% ont un parent qui a «disparu» et 55% ont eu leur maison détruite. Dans les zones les plus touchées par la guerre, ces chiffres sont plus élevés encore.

D’après une enquête de la South Sudan Law Society (SSLS) dans la base onusienne de Malakal (nord-est), où sont réfugiées 47 000 personnes, 77% des sondés ont perdu un parent. L’étude du Pnud indique aussi que 41% souffrent d’un syndrome de stress post-traumatique (PTSD), un «niveau comparable à celui observé au Rwanda ou au Cambodge après le génocide». L’absence de bilan crédible contribue, selon des analystes, à ce que la guerre au Soudan du Sud soit largement occultée de l’actualité internationale, et garantit l’impunité des tueurs.

Car, alors que les combats se poursuivent, le temps efface les preuves des massacres.

Le Quotidien/AFP

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