Au centre Pompidou-Metz, près de 300 œuvres illustrent la fascination des artistes pour «les tremblements du monde». Entre catastrophes naturelles, phénomènes anthropiques et luttes écologiques.
Quelques semaines seulement après la COP21, l’exposition «Sublime. Les tremblements du monde» arrive à point nommé, dans une société confrontée aujourd’hui à de sérieux problèmes environnementaux. C’est que la nature et ses soubresauts ont, depuis toujours, fasciné l’Homme, éternel angoissé par la disparition du monde et sa propre fin, partagé entre effroi et attraction face au déchaînement des éléments. Auparavant vu comme le prélude à une punition divine, ces dérèglements portent, désormais, en eux, la trace de nos activités. En somme, de notre responsabilité.
D’où cette initiative du Centre Pompidou-Metz, née il y a trois ans, de «proposer un regard sur ces enjeux écologiques en remontant le curseur de l’histoire de l’art», explique Hélène Guénin, la commissaire de l’exposition. Elle poursuit : «Les images d’ouragans, de tsunamis, de tempêtes se sont démultipliées ces dernières années, malheureusement. Et chaque fois, le même discours apparaît, assez catastrophiste, comme si chacun de ces éléments était l’annonce d’une plus grande catastrophe à venir.» Hélène Guénin note : «Malgré l’horreur, nous somme happés par la puissance de la nature.»
Une position ambivalente qui justifie l’appellation «sublime», qui, initialement, caractérise cette «passion mêlée de terreur et de surprise», définie en 1757 par le philosophe Edmund Burke. Ainsi, l’océan démonté sous la tempête, les volcans en fureur, les montagnes escarpées et les vallées sombres deviennent, au XVIIIe siècle les stéréotypes de ce sentiment d’attraction-répulsion, largement représenté dans la littérature et la peinture romantiques.
Dans cette exposition organisée en cinq chapitres, on débute justement avec ces vertiges face à cette «nature trop loin», celle qui échappe, qui déborde, évoquée par Victor Hugo et appuyée par deux de ses dessins. Entre des représentations du Vésuve, des chutes du Niagara et de sommets enneigés, l’œuvre d’Adrien Missika est, toujours selon Hélène Guénin, «symbolique» de ce rapport entre «la patte de l’Homme sur son environnement et la fascination pour les phénomènes naturels». Une vidéo montrant des flammes léchant le sol. Une cheminée ? Un incendie ? En réalité, c’est un feu qui brûle depuis quarante années, après la découverte d’une très importante poche de gaz, volontairement embrasée de peur qu’elle n’explose. Au Turkménistan, le lieu a été baptisé «la bouche de l’enfer»…
Un champ de blé à Manhattan !
Plus loin, on a toujours aussi chaud en compagnie de deux célèbres chasseurs de volcan, Maurice et Katia Krafft, totalement conscients de l’esthétique des coulées de lave, dont ils ont pris des milliers de photos et de films, et de l’importance de leur étude. Une passion qui aura d’ailleurs raison de leur vie : ils ont été tués en 1991 au Japon par une nuée ardente. Entre le feu et la glace, les tempêtes sont aussi étudiées, avec un chef-d’œuvre de Turner, Paysage marin avec tempête qui approche. Pour cette toile à la limite de l’abstraction, où le ciel et la mer se mélangent dans des teintes gris-jaune, on raconte que le peintre s’est attaché à un mât, sur une mer agitée, pour la réaliser.
Passons sur d’autres prêts prestigieux, comme ces études de déluges signées Léonard de Vinci, pour plonger dans le second chapitre, «Imaginaire de la catastrophe», cette «fascination occidentale pour la disparition, qui fait que l’on se réinvente des fins possibles». Là, on esthétise l’horreur, on fantasme sur le spectaculaire. Le meilleur exemple de cette orientation, outre la splendide sculpture de Cornelia Parker et ses «pierres suspendues», c’est le film Melancholia de Lars von Trier, un «ballet de la mort» entre la Terre et Saturne.
Des fins du monde qui se concrétisent dans les angoissantes photographies de la section suivante consacrée à «La tragédie du paysage», avec ce constat implacable que «l’homme est partout» et que son impact est néfaste. «Imaginez un printemps où les oiseaux ne chantent plus», martèle la biologiste Rachel Carson, comme en écho au travail d’Edward Burtynsky – aux magnifiques coulées de nickel – ou à celui de Richard Misrach. Comme pour souligner encore plus fortement le propos, une salle présente ensuite plusieurs affiches militantes des années 70-80, comme celles du journal La Gueule ouverte, ancêtre de Charlie Hebdo.
Histoire de terminer sur une note «poétique», les deux derniers chapitres, «Alternatives» et «Ré-enchantement», offrent des moments plus apaisés – un geste plutôt bienveillant, surtout après la section consacrée au nucléaire. Aux projets «à la limite de la science-fiction», avec ces villes de demain, sur terre ou sous les eaux, avec dômes, bulles et capsules, se succèdent d’autres plus concrets, comme celui d’Agnes Denes, qui a fait pousser un champ de blé au cœur du World Trade Center ! Ici, les artistes réparent, soignent, pansent la Terre. Se la réapproprient dans un cri qu’ils veulent fédérateur : «Non, il n’est jamais trop tard.»
Grégory Cimatti
Jusqu’au 5 septembre, au centre Pompidou-Metz