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«The big Lebowitz»


Toujours vêtue d’une veste de costume sur une chemise, Fran Lebowitz a été remarquée parmi les femmes les mieux habillées de l’année 2007 par Vanity Fair. (Photo : brigitte lacombe)

Publié outre-Atlantique en 1994, Pensez avant de parler. Lisez avant de penser est enfin traduit en français. Son auteure? Fran Lebowitz, intellectuelle star et spécialiste du mot d’esprit, considérée comme «la femme la plus drôle des États-Unis». On adore!

Nous voici prévenus! Merci au réalisateur Martin Scorsese, qui nous a glissé : «Elle est inépuisable – sa personnalité, son érudition, son esprit brillant et, avant tout, bien sûr, son humour.» D’autres assurent qu’il s’agit de «la femme la plus drôle des États-Unis», héritière d’une autre Américaine, Dorothy Parker, poétesse et scénariste réputée pour son humour caustique, ses mots d’esprit et le regard acéré qu’elle posait sur la société urbaine du XXe siècle.

Des propos confirmés par la lecture de Pensez avant de parler. Lisez avant de penser, de Frances Ann Lebowitz, dite Fran, 71 ans. On a là, en un seul volume, deux textes de l’auteure américaine : Metropolitan Life (1974) et Social Studies (1981), recueillis dans cette anthologie originellement parue en 1994. Dans un avant-propos à l’édition originale, elle précise : «J’implore le lecteur contemporain – cette figure solitaire – d’aborder ces modestes essais dans le même état d’esprit que celui qui a présidé à leur conception, en les prenant pour ce qu’ils se voulaient au moment de leur parution initiale, et pour ce qu’ils sont plus encore aujourd’hui : des textes relevant du domaine de l’histoire de l’art…».

Un air de The Big Lebowski

Se considérant comme athée depuis l’âge de 7 ans, Fran Lebowitz est, selon sa bio officielle, auteure et actrice. À la vingtaine, elle s’installe à New York et se retrouve à bosser avec Andy Warhol dans le journal qu’il a créé, Interview, passe chez Mademoiselle avant de se consacrer à l’écriture romanesque. Quatre livres, dont un roman jeunesse paru en 1995, Mr. Chas and Lisa Meet the Panda. Depuis, plus une seule ligne, elle avoue un blocage à l’écriture…

Fran Lebowitz est une «people» qui monte sur scène, répond aux questions des spectateurs et se raconte. En 2007, le magazine Vanity Fair est catégorique : gay «outée» de longue date («Dès 11 ans, j’ai su que j’étais gay»), elle est l’une des femmes les mieux habillées de l’année, connue pour porter fréquemment une veste de costume sur une chemise, sa marque de fabrique.

Quand Marty filme Fran

Un jour, le réalisateur John Waters a convié à l’un de ses fameux dîners Martin Scorsese et Fran Lebowitz. Ces deux derniers ont sympathisé, se sont revus et, mieux, ont institué un rituel pour chaque réveillon de nouvel an. Avec des amis, ils se retrouvent dans la salle de projection du bureau de «Marty» pour déguster des plats italiens, regarder un film avant minuit, puis un second après minuit (toujours un tirage rare et de haute qualité réalisé à partir du négatif original)… En 2021, Scorsese a réalisé, pour Netflix, une minisérie en sept parties titrée Pretend It’s a City, et qui met en majesté son amie Lebowitz et la ville de New York.

Au programme : des interviews, des apparitions en direct et des promenades à travers la «Grosse Pomme», ce qui permet des échanges sur la vie de l’auteure et sur l’évolution de la ville durant ces dernières décennies. Fidèle à son personnage et à sa réputation, Fran Lebowitz y va de ses bons mots et de ses piques. Un exemple parmi d’autres : «Peu m’importe que les gens soient d’accord avec moi ou non. Mon sentiment, si quelqu’un n’est pas d’accord avec moi, c’est : « OK, vous avez tort. »» Fran Lebowitz ne manque pas non plus de rappeler qu’elle est «en permanence en colère» et de lancer quelques sentences définitives. Ainsi, évoquant Marvin Gaye et Charles Mingus : «Les musiciens et les cuisiniers sont ceux qui donnent le plus de plaisir à l’humanité. La musique de Motown me rend aussitôt plus heureuse. C’est une drogue qui ne vous tue pas.»

En huit grands chapitres et plus de 350 pages, Fran Lebowitz, qui aime répéter se ficher de ce que les autres pensent d’elle, montre que son autodéfinition d’«observatrice» n’est en rien usurpée. C’est toujours très mordant, avec un peu de mauvaise foi, tout ça parce que la vie est une suite de problèmes et que l’âge d’adulte, ce n’est rien d’autre qu’être malheureux.

Ainsi, au hasard des chapitres, flotte comme un air de The Big Lebowski, le film cultissime des frères Coen, sorti en 1998. Chez le Dude des Coen tout comme chez Fran Lebowitz, ce sont des vies minuscules, des petits problèmes domestiques ou aussi des problèmes de riches, de nouvelles disciplines olympiques, trois propositions pour pimenter le Code pénal ou encore la réponse à une question existentielle : comment réussir dans la vie sans faire d’études?

La rencontre improbable de Huckleberry Finn, Oscar Wilde, Tocqueville et Groucho Marx

Ainsi, en ouverture de Pensez avant de parler. Lisez avant de penser, l’auteure nous raconte sa journée : «12 h 35 – Le téléphone sonne. Je ne trouve pas ça drôle. Ce n’est pas ma façon préférée de me réveiller. Ma façon préférée de me réveiller, c’est quand une star du cinéma français me susurre dans le creux de l’oreille à deux heures et demie de l’après-midi que, si je veux arriver en Suède à temps pour recevoir mon prix Nobel de littérature, je ferais mieux d’appeler tout de suite en cuisine pour qu’on m’apporte mon petit-déjeuner. Chose qui n’arrive pas aussi souvent qu’on pourrait le souhaiter…» Qu’on se le dise encore et encore, Fran Lebowitz, c’est le grand mix, la rencontre improbable de Huckleberry Finn, Oscar Wilde, Tocqueville et Groucho Marx!

Pensez avant de parler. Lisez avant de penser, de Fran Lebowitz. Pauvert.

C’est toujours très mordant, avec un peu de mauvaise foi, tout ça parce que la vie est une suite de problèmes

«Je juge beaucoup, c’est très mal vu»

Récemment, lors d’une étape promo, Fran Lebowitz s’est posée à Paris et s’est racontée lors d’un entretien télévisé. Extraits.

AVIS «Je change rarement d’avis. La plupart des gens pensent que c’est une mauvaise chose. Mais c’est tellement rare que je peux me souvenir du peu de fois que j’ai changé d’avis. Je pense que ça s’explique par le fait que j’avais raison dès le début!»

HUMANITÉ «J’ai vu très peu de gens changer au cours de leur vie (…) L’humanité n’a jamais été une très bonne espèce, ça ne le sera jamais. C’est pour ça que je pense que si vous lisez un livre du XIXe siècle, vous n’allez pas l’aimer parce que les détails n’ont pas changé. Bien sûr, tout a changé, les vêtements, etc. mais les comportements sont toujours les mêmes. J’aimerais qu’ils changent, mais les gens, eux, ne changent pas.»

LIRE «Ça ne vous fera jamais de mal de lire. Il y a un nouveau phénomène aux États-Unis : interdire certains livres. Toutes les écoles interdisent certains livres. Personne ne s’est jamais blessé en lisant un livre. Et les gens qui interdisent un livre, ils n’ont jamais lu un livre. Donc, pourquoi les interdisent-ils?»

OBSERVATRICE «J’aimerais qu’on me présente comme la présidente des États-Unis, mais je pense que ce serait faux… Je pense que je suis… une observatrice. En fait, je m’en fiche de ce que les gens pensent de moi. Ils ont peut-être tort, ils ont peut-être raison, mais ça n’a pas d’importance pour moi.»

RÉALISTE «Je suis quelqu’un de réaliste. Mais les autres trouvent cela négatif ou pessimiste. Ces deux dernières années, j’ai dû faire un milliard de tests covid. Et à chaque fois que j’en fais un, on m’appelle pour les résultats. Et ils disent toujours : « Le résultat est négatif. » À chaque fois, je réponds : « Je sais. » Ils me demandent : « Comment savez-vous cela? » Moi : « Parce que toute ma vie, les gens m’ont toujours dit : « Fran, tu es tellement négative! » Mais moi, je ne pense pas être négative. Vraiment. Je juge beaucoup, c’est très mal vu aux États-Unis. Un peu moins en Europe. Mais pour moi, juger montre qu’on est attentif. Donc, en fait, je suis juste quelqu’un d’attentif!»

VILLE «Les villes changent, c’est dans leur nature. Ce qui ne change pas, c’est hors de la ville. Donc, si vous voulez que tout reste pareil, allez vivre au milieu de nulle part. Il y a des endroits en dehors de la ville qui sont pareils qu’en 1955. La seule différence, c’est qu’ils sont plus chers!»

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