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[Critique ciné] «Thirteen Lives», sauvetage… de meubles


On finit même presque par regretter le choix de deux acteurs surdoués comme Viggo Mortensen et Colin Farrell pour jouer des personnages assez caricaturaux. (Image Prime video)

Avec Thirteen lives, Ron Howard s’empare de l’histoire de la grotte de Tham Luang dans un récit qui se veut aussi proche que possible de la réalité mais qui peine à être plus qu’un grand spectacle américain.

C’est une histoire qui avait tenu en haleine la planète pendant plus de deux semaines, à l’été 2018. Dix-huit jours durant lesquels douze jeunes footballeurs thaïlandais et leur entraîneur sont restés bloqués dans la grotte de Tham Luang, dans le nord du pays. La cause, des pluies torrentielles qui, en un rien de temps, ont provoqué la montée des eaux d’une rivière souterraine, piégeant ainsi le groupe à quatre kilomètres de distance de l’entrée de la cavité. La découverte des survivants après neuf jours a été vue comme un petit miracle; les neuf jours suivants, ceux du sauvetage, ont été une autre paire de manches.

Un casting composé de pointures

Fin 2021, The Rescue, documentaire réalisé par Elizabeth Chai Vasarhelyi et Jimmy Chin – un duo déjà aux commandes du vertigineux Free Solo (2018) –, était arrivé sur Disney+, alimenté par 87 heures d’images fournies par les forces spéciales thaïlandaises, qui ont participé au sauvetage. Aussi maîtrisée et époustouflante que soit cette œuvre, il fallait bien s’attendre à ce que Hollywood s’empare une fois de plus de la réalité pour la transformer en grand spectacle. Et met toutes les chances de son côté avec ce Thirteen Lives, à la faveur de quelques pointures : devant la caméra, Viggo Mortensen, Colin Farrell et Joel Edgerton. Derrière, Ron Howard, qui, après avoir mis en scène l’enfer des flammes (Backdraft, 1991), celui de l’espace (Apollo 13, 1995) et celui de l’océan (In the Heart of the Sea, 2015), s’engouffre la tête la première dans un nouveau récit dangereux et phénoménal… qui se finit bien.

Dans son prologue et son premier acte, Thirteen Lives montre à l’écran des acteurs thaïlandais jouant en langue thaï, bien loin de l’«exotisation» de l’anglais, habituellement de rigueur dans le contexte d’un film de studio. Le réalisme serait donc sauvé, l’objectif du film aussi, qui s’attache à suivre les enfants à l’intérieur de la gigantesque prison creusée, puis à s’intéresser aux parents morts d’inquiétude, pour qui l’attente, jour après jour, d’une solution apparemment impossible à trouver, est un déchirement. Le gouverneur semble impuissant et les Navy SEALs thaïlandais, les premiers dans l’eau, font vite machine arrière, dépassés par l’impraticabilité de l’endroit.

Quand les Blancs arrivent, la réalité s’éloigne

La seule chance de retrouver les jeunes garçons repose sur deux hommes, Rick Stanton (Viggo Mortensen) et John Volanthen (Colin Farrell), deux civils considérés comme les meilleurs plongeurs du monde. Dépêchés en Thaïlande, les Britanniques occuperont un rôle de premier plan dans l’opération de sauvetage : ce sont eux qui retrouveront l’équipe de foot, affamée et désespérée, mais bien vivante, au fond de la grotte. Et c’est bien entendu quand les Blancs arrivent que le film s’éloigne de ceux à qui il s’était lié en premier lieu. Que le film, en somme, redevient le gros spectacle américain qu’il était destiné à être.

Dans un film aux allures de fresque, Ron Howard se détourne vite de la mosaïque qu’il avait commencé à composer

Soulignons toutefois que le récit déroulé dans Thirteen Lives est aussi proche que possible de la réalité, et que l’importance de Stanton et Volanthen dans le sauvetage des enfants n’est ni embellie ni minimisée. Mais dans un film aux allures de fresque, étalé sur 2 h 30, Ron Howard se détourne bien vite de la mosaïque qu’il avait commencé à composer pour ne plus tirer qu’un seul fil scénaristique, reléguant le reste au rang de sous-intrigues, qui ne seront plus qu’effleurées.

Des personnages assez caricaturaux

Pour aller droit à l’enfer du sauvetage, on ne passe plus de temps avec les parents ou avec les enfants, et tout autre obstacle – la coopération difficile avec l’armée et le gouvernement thaïlandais, les personnalités opposées des deux plongeurs anglais – est un conflit illusoire, résolu en un claquement de doigts et sans aucune incidence sur le scénario. On finit même presque par regretter le choix de deux acteurs surdoués comme Viggo Mortensen et Colin Farrell pour jouer des personnages assez caricaturaux, dont les scènes les plus attendues et impressionnantes montrent… leurs doublures.

Ron Howard a filmé plus d’une catastrophe sur grand écran, toujours pour en mettre plein les yeux. Le rachat de MGM par Amazon a débouché sur une sortie du film sur Prime Video, quand Thirteen Lives était clairement pensé pour la salle obscure.

Pas de doute que les nombreuses séquences suffocantes de plongée auraient eu un impact bien supérieur que sur une télé, mais l’expérience est finalement à l’image de ce qui fonctionne le moins dans ce film pourtant solide : à vouloir trop bien faire, on glisse sur ces 2 h 30 jamais ennuyeuses, mais pas très courageuses. Ce qui est surtout sauvé, ce sont finalement… les meubles.

Thirteen Lives de Ron Howard. Avec Viggo Mortensen, Colin Farrell, Joel Edgerton… Genre drame. Durée 2 h 27.

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