Accueil | Culture | [Cinéma] «As bestas» : le champ des batailles

[Cinéma] «As bestas» : le champ des batailles


Denis Ménochet et Marina Foïs s'installent dans la campagne espagnole et se font harceler par leurs de voisins. Un thriller rural d’une tension folle.

En Galice, un conflit de voisinage dans un contexte de grave crise sociale vire à la tragédie. Marina Foïs et Denis Ménochet sont unis pour le meilleur et pour le pire dans ce thriller rural à l’ambiance irrespirable.

Plongée en terrain hostile pour Marina Foïs et Denis Ménochet : dans As bestas, ils incarnent un couple tombé amoureux d’un coin de Galice déshérité, dont l’installation suscite l’hostilité menaçante de voisins. Présenté hors compétition au dernier festival de Cannes, le film a fait sensation avec son exploration des rapports de voisinage flirtant avec la violence, dans la veine des Chiens de paille (1971) de Sam Peckinpah.

Derrière la caméra : Rodrigo Sorogoyen, figure montante du cinéma espagnol qui, à l’âge de 40 ans, appartient à une génération de réalisateurs qui n’a pas peur de tourner avec des acteurs étrangers des intrigues qui traversent les frontières, interrogent les mythes ou les nationalités. Remarqué avec Que Dios nos perdone, sur un tueur en série violeur de vieilles dames, El reino, sur la corruption politique en Espagne, puis Madre pour lequel il avait déjà enrôlé des acteurs français, il poursuit son exploration des bas instincts humains.

Avec cette fois-ci, l’affrontement entre un couple de Français, Antoine et Olga, qui restaurent des maisons abandonnées en Galice où ils sont installés, et un duo de frères frustes, Xan et Lorenzo, qui compte sur l’installation d’éoliennes pour sortir de leur vie étroite, auprès d’une mère âgée. Derrière ce conflit se trouvent différentes visions du monde qui paraissent incompatibles. D’un côté, celle des néo-ruraux et, de l’autre, celle des locaux, convaincus du danger que constituent ces nouveaux arrivants. Quand l’incompréhension et la peur poussent à la haine et la menace…

La patrie devient le territoire du conflit, né d’une affirmation : « je suis ici chez moi, mais pas toi »

Le réalisateur détaille les bases de son film, cliniquement. «On a un village en déclin, comme il en existe tant en Espagne, où les habitants se méfient des étrangers. On a deux frères en colère contre le monde. La patrie devient alors le territoire du conflit, un affrontement né d’une affirmation : « je suis ici chez moi, mais pas toi ».» Il poursuit : «Ce qui nous a plu, c’est d’imaginer les motivations de ces quatre personnages : comment peut-on à ce point détester quelqu’un de son voisinage? Et celle des deux étrangers, des gens qui ne sont finalement pas les bienvenus, mais se disent « je ne vais pas partir d’ici ».»

Incompréhension et menaces croissantes… Le film fait monter la tension et montre Antoine tentant de renouer le dialogue au bar du coin. Mais la guerre est déclarée quand les récoltes des deux Français sont empoisonnées au plomb. À partir de ce moment, la violence psychologique monte d’un cran et Antoine ne se sépare plus d’une caméra pour enregistrer les faits et gestes de ses voisins. As bestas (qu’on peut traduire par «les bêtes») bénéficie de quatre performances d’acteurs : outre Denis Ménochet (actuellement dans un autre film à l’affiche, Petra von Kant, de François Ozon) et Marina Foïs (que l’on a vue la semaine dernière dans En roue libre), il y a les Espagnols Luis Zahera, qui avait déjà travaillé avec Rodrigo Sorogoyen, et Diego Anido, un acteur de théâtre.

Le scénario, qui s’inspire de l’histoire dramatique d’un couple de Néerlandais installés en Espagne, changeait, au fil de l’écriture, selon la perception des personnages, explique le réalisateur. «On réécrivait au fil des années, on a appris à les connaître», dit encore Rodrigo Sorogoyen. «On n’est pas si loin de certains comportements qu’on voit a priori chez le voisin, chez l’autre et qu’on désapprouve.» En tout cas, le cinéaste aime brouiller les cartes : «Ce que je trouve intéressant dans la justice, c’est qu’elle n’est pas incontestable. Elle est relative. En fonction du point de vue qu’on adopte pour raconter une histoire, on peut avoir une certaine conception de ce qui est juste ou, à l’inverse, en avoir une vision radicalement différente.»

Rodrigo Sorogoyen a filmé des œuvres très différentes, mais y voit toutefois un fil conducteur : «La violence et comment nous vivons avec elle.» Pour ce film, comme pour ses autres projets depuis des années, il a travaillé avec la scénariste Isabel Peña. «C’est elle la pointilleuse, la précise, celle qui donne la scène, je pense, la magie. Et c’est moi qui ai la vision globale. Ça m’est déjà arrivé plus d’une fois de me dire : l’intrigue, là, ne fonctionne pas! (il rit)» Ce n’est sûrement pas le cas avec As bestas.

As bestas, de Rodrigo Sorogoyen.

 

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.