Le reconditionnement des bouteilles pour les faire tourner en circuit fermé est-il une bonne idée ? Sur la Moselle et à la Chambre de commerce, beaucoup de monde en doute.
Le 27 avril dernier, la Chambre a voté le paquet de loi «Économie circulaire», dans lequel il est question – parmi tant d’autres choses – d’instaurer des consignes allant de 10 centimes à 1 euro sur tous les emballages de boissons (lire par ailleurs). L’allusion est rapide mais elle est bien là et, l’air de rien, une telle orientation modifiera profondément le quotidien des consommateurs, des distributeurs et des producteurs.
Si l’on comprend bien les intentions du législateur (réduire au maximum les déchets et optimiser leur reconditionnement pour économiser les ressources), les questions que cette révolution entraînera laissent pour l’instant le secteur sceptique. «Nous en parlons depuis quelques années et nous sommes dubitatifs», reconnaît le président des Domaines Vinsmoselle, Patrick Berg, qui demande à être convaincu. «Consigner les bouteilles pour les réutiliser impose beaucoup de contraintes, soutient-il. Il faut utiliser des bouteilles plus lourdes et plus solides, ce qui coûtera plus cher à l’achat et pour le transport, sans compter les émissions de CO2 supplémentaires pour les acheminer d’un lieu à l’autre.» Le plus gros producteur de crémant du pays s’inquiète pour ces bouteilles spécifiques : «La pression à l’intérieur des bouteilles de crémant est de 6 à 8 bars, ce qui est énorme (NDLR : plus de trois fois supérieure à celle d’un pneu de voiture). Réutiliser ces bouteilles signifierait également les fragiliser et le risque de casse serait sérieusement accru… cela ne plaira pas aux grandes surfaces ni aux particuliers.»
Un recyclage déjà efficace
Les acteurs de la filière viticole sont unanimes : un retour au système de consignes leur semble inimaginable à court terme. Le premier problème évoqué est la difficulté logistique pour mettre tout le système en place. Faut-il une centrale de lavage pour toute la Moselle? Que les plus gros producteurs s’équipent et, comme c’était le cas au siècle dernier, sous-traitent ce service aux plus petits? Qui récupérera et acheminera les bouteilles dans tout ce circuit?
Non seulement la loi ne répond à aucune de ces questions, mais la Moselle n’a été que très peu consultée sur cette problématique. Les entreprises (producteurs, distributeurs, cavistes) n’ont pas beaucoup d’informations solides et même les services de l’État (l’Institut viti-vinicole) avouent n’avoir été que très peu sondés en amont du vote et ne pas bien maîtriser le sujet.
L’article Ier de loi n° 7654 modifiant la loi du 21 mars 2017 relative aux emballages et aux déchets d’emballage «prévoit des mesures visant, comme première priorité, la prévention des déchets d’emballages et, comme autres principes fondamentaux, le réemploi et la préparation à la réutilisation d’emballages, le recyclage et les autres formes de valorisation des déchets d’emballage et, partant, la réduction de l’élimination finale de ces déchets afin de contribuer à la transition vers une économie circulaire.» Plus loin, le point b)4. de l’article 8 précise : «Les emballages de boissons servant à la consommation humaine et qui sont mis sur le marché luxembourgeois sont soumis à un système de consigne national unique. Le montant de la consigne varie en fonction de la nature de l’emballage entre 10 centimes et 1 euro. La date et les modalités de mise en œuvre du système de consigne sont définies par voie de règlement grand-ducal.»
Finalement, c’est la Chambre de commerce qui détaille le mieux les tenants et aboutissants de la loi et pointe ses limites. L’avis qu’il a donné à la Chambre est riche et documenté. Son vice-président, Claude Bizjak, est critique : «Au Luxembourg, le taux de pénétration de Valorlux est de 100 %, 98 % des personnes déclarent que le tri des déchets est important et ils sont plus de 90 % à le faire régulièrement, ces taux sont exceptionnellement hauts. Donc avec cette nouvelle loi, en fin de compte, on travaille sur quoi? La marge est très restreinte, il reste le dépôt sauvage d’ordure et les bouteilles non triées qui représentent environ 10 % du total. Est-ce qu’une consigne serait efficace pour y remédier? Nous n’en sommes pas sûrs, à moins de la fixer à un coût exorbitant, ce qui n’est pas une solution envisageable. Ne serait-il pas plus efficace d’installer davantage de poubelles spécifiques dans les rues et les différents points de passage pour récupérer les emballages qui manquent aujourd’hui? Il existe sûrement des possibilités pour optimiser ce qui existe déjà sans tout révolutionner. D’autant que la situation actuelle est loin d’être mauvaise.»
Un coût élevé pour les entreprises
Fatalement, cette mesure entraînerait un coût important pour les entreprises du pays. La mise en place de l’infrastructure nécessaire (stockage, transport, nettoyage) a été évaluée en 2019 par la Chambre de commerce à 11,5 millions d’euros. Selon la même étude, les frais de fonctionnement s’élèveraient à 4 millions chaque année.
Et puis, cette loi s’imposera à toutes les boissons vendues au Grand-Duché, or peu de pays en importent autant que le nôtre. «Environ 95 % des boissons consommées ici proviennent de l’étranger, souligne Claude Bizjak. Il leur faudra donc une étiquette spécifique pour le marché luxembourgeois. Comment fera-t-on? Cela représente un travail et un coût supplémentaires considérables!»
La charrue avant les bœufs?
La situation géographique du Luxembourg, au cœur de la Grande Région et possédant des frontières avec trois pays, implique également des comportements d’achats particuliers. Beaucoup de frontaliers et de voisins français, belges et allemands viennent faire leurs achats dans les supermarchés luxembourgeois. «Continueront-ils à acheter les boissons ici si les contenants sont consignés? À l’achat, elles seront plus chères et il faudra les ramener au Luxembourg pour récupérer la consigne. Ces contraintes économiques et logistiques pourraient compromettre l’acte d’acheter, ce qui pénaliserait les commerces et les producteurs luxembourgeois.»
Aujourd’hui, si la volonté de faire revenir les consignes au Luxembourg est inscrite dans la loi, rien n’est dit sur les modalités d’application ou le calendrier d’exécution d’une telle décision. En faisant preuve de volontarisme pour récupérer le retard pris dans l’application des directives européennes relatives aux emballages et aux déchets d’emballage dont la date butoir était fixée en juillet 2020, l’État aurait-il mis la charrue avant les bœufs? Ce qui est certain, c’est que l’absence de dialogue avec le secteur viticole au sens large n’a pas jeté les bases d’une discussion apaisée.
Interrogé sur ce sujet, le député écologiste François Benoy a tout de suite indiqué que le retour des consignes ne sera pas pour tout de suite. «La loi n’indique pas de délai, elle pose juste le cadre légal, souligne-t-il. Le ministère va continuer à travailler sur le sujet et tout sera fixé par de futurs règlements grand-ducaux.» Fixer une échelle de temps est même sans doute trop précoce. «La volonté est là puisque toutes les études dans le cadre du zéro déchet montrent que les consignes sont efficaces, ajoute-t-il. Mais il n’est pas question de concrétiser cela à court terme. Nous visons le moyen terme, d’ici quelques années. Maintenant que la loi est votée, il y a déjà beaucoup d’autres dispositifs à mettre en place à l’horizon 2025. Ces axes prioritaires demanderont déjà beaucoup d’efforts.» Le rapporteur de la loi est conscient qu’un gros travail de préparation sera à effectuer avec le secteur afin qu’un système de consignes puisse être opérationnel et, surtout, accepté. La réalisation des infrastructures nécessaires demandera également du temps. Il reconnaît aussi «ne pas être sûr que ce système concernera tous les types de boissons». La question de la fragilité des bouteilles de crémants est bien sûr un sujet important, le Luxembourg en produisant un peu plus de 3 millions par an.