«J’avais envie de me glisser dans la peau d’une femme», confie Bernard Minier en parlant de son dernier roman, Lucia. Et d’ajouter : «Écrire, c’est imaginer, et j’aime l’idée de me projeter, d’être un autre.»
Celui qui a terminé l’année 2021 à la sixième place des meilleurs vendeurs de livres en France s’est lancé dans son dixième livre et nouveau thriller, Lucia, qui, à peine arrivé en librairie, est déjà un best-seller. Une habitude avec Minier, 61 ans, né à Béziers et dont le premier roman, Glacé, traduit en 84 langues dans le monde, a été présenté par le Sunday Times comme l’un des cent meilleurs polars publiés depuis 1945.
Jusqu’alors, celui qui a travaillé dans les douanes pendant plus de vingt ans avant de se consacrer pleinement à l’écriture déroulait des thrillers au masculin. Cette fois, il emmène lectrice et lecteur de l’autre côté des Pyrénées, à Madrid, Saragosse, Ségovie ou encore Salamanque, dans le sillage de Lucia Guerrero. Ah ! Lucia… «Elle est rebelle, coriace, insolente, terriblement attachante… Elle ne sort pas de nulle part : elle a quelques modèles admirables et bien vivants. Elle doit se battre dans un monde qui est, certes, de moins en moins, mais encore en grande partie, un monde d’hommes : celui de la police, de la Guardia Civil», explique l’auteur.
(Lucia) est une enquêtrice d’élite, mais aussi une jeune femme qui n’arrondit pas les angles, qui a un côté « badass »
Lors d’une rencontre avec des lecteurs, il précise : «C’est une enquêtrice d’élite, mais aussi une jeune femme qui n’arrondit pas les angles, qui est vraie, qui a un côté « badass », dure à cuire indiscutablement. Elle est petite, brune, tatouée et elle a un modèle bien vivant dont je suis assez proche. Une Espagnole qui a ce caractère, ce chien-là.» Dans ce personnage, certains ont relevé des airs de famille avec Lisbeth Salander, l’héroïne de la saga Millenium…
Avec son art imparable d’ouverture choc pour ses romans (sa marque de fabrique), Bernard Minier attrape immédiatement. «Lucia cligna des yeux à cause des gouttes qui frappaient sa cornée. Et elle les vit. Au sommet de la colline. Trois grandes croix sombres – le Christ au milieu, les deux larrons de part et d’autre. « Celle de droite », lui dit le sergent près d’une des carrosseries crépitantes. Son visage reflétait toute l’horreur que lui inspirait le spectacle qui attendait Lucia là-haut.»
Là, en rase campagne, loin de toute habitation, sur l’une des croix, une statue beaucoup plus pâle que les deux autres. «Lucia la regarda… ouvrit la bouche. Un cri muet bloqué dans sa gorge quand la réalité de ce qu’elle voyait lui sauta au visage. Non ce n’était pas possible, ce n’était pas vrai : ça ne pouvait pas être lui.» Et pourtant, si. Là, crucifié, son collègue disparu…
La policière lance l’enquête. Recherche celui qu’on surnomme le «tueur à la colle». Dans le même temps, à l’université de Salamanque, la plus ancienne d’Espagne, un groupe d’étudiants en criminologie travaille sur le cas d’un tueur de l’ombre qui s’inspire de différents tableaux de la Renaissance pour commettre ses crimes, toujours irrésolus. Et pointent trois affaires, trois couples abattus, les corps soudés avec une colle forte. La même méthode utilisée pour le crime du collègue de Lucia Guerrero… Avec une grande habileté dans la technique narrative, Bernard Minier fait le lien entre la policière et les étudiants. Et c’est ainsi qu’au hasard des pages de Lucia, on pourrait se croire en compagnie d’Arturo Pérez-Reverte (Le Tableau du maître flamand) ou d’Umberto Eco (Le Nom de la rose). Ce qui n’est pas rien !