Un malaise existe actuellement dans les crèches du pays. En cause : une situation sanitaire difficile à gérer et un soutien jugé défaillant par le ministère de l’Éducation nationale. Explications.
«On est enfermés dans un cercle vicieux.» Une éducatrice voulant garder l’anonymat témoigne du malaise qui s’accentue dans les crèches du pays. «La situation se dégrade. Nous nous sentons abandonnés à notre sort pour gérer les enfants présentant des symptômes. L’insécurité est grandissante, à la fois auprès du personnel et des parents», poursuit notre interlocutrice. Elle affirme s’être informée auprès d’autres collègues à travers le pays. Le constat est partagé : «Nous sommes frustrés.»
Au vu de la propagation du virus, ce sont deux phénomènes auxquels les acteurs du terrain doivent faire face. D’un côté, les crèches accueillent de moins en moins d’enfants, ce qui «inquiète les parents qui voient les groupes diminuer de jour en jour. Leur enfant est-il toujours en sécurité?» De l’autre, l’absence d’enfants cause des problèmes structurels aux gestionnaires de crèches et de foyers privés (lire ci-dessous).
Selon les chiffres officiels du ministère de la Santé, les 0-4 ans représentent actuellement 3,7 % de l’ensemble des infections actives. Sur les 3 804 personnes qui étaient mercredi soir toujours positives au coronavirus, quelque 140 sont en très bas âge. Dans les structures pour enfants non scolarisés (crèches, foyers, minicrèches, etc.), 146 cas d’infections au Covid-19 ont été détectés entre le 22 février et le 28 mars auprès des enfants de 0-4 ans. S’y ajoutent 118 infections de membres du personnel (voir graphique ci-dessous).
Des parents pas toujours très responsables
«Ma petite fille a eu deux contacts rapprochés avec des éducatrices testées positives. Elle a été placée en quarantaine et a été obligée de passer un test six jours après la détection de l’infection», indique un jeune père de famille, contacté par nos soins. C’est son épouse qui a alors profité du congé extraordinaire pour raisons familiales. Comme le démontrent les chiffres cités ci-contre, ce genre de scénario s’est multiplié au fil des derniers mois.
Malheureusement, tous les parents ne feraient pas preuve du même sens de responsabilité. «Il s’est avéré que toute la famille d’un petit garçon présentait des symptômes grippaux. Mais bien avant d’avoir obtenu le résultat des tests, les parents ont envoyé leur enfant à la crèche», note l’éducatrice qui s’est confiée au Quotidien. Il ne s’agirait pas d’un cas isolé. «Nous n’avons pas de véritable mainmise pour obliger les parents à présenter un test négatif, voire de renvoyer à la maison un enfant présentant des symptômes», déplore notre interlocutrice. Autre exemple : «On est aussi confrontés à des parents qui nous balancent qu’ils doivent travailler et ne peuvent pas tenir compte que leur enfant présente des symptômes ou pas.»
Interrogé par nos soins, le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse (MENJE) confirme que «selon les recommandations du ministère de la Santé, les enfants et les membres du personnel malades ou présentant des symptômes grippaux doivent rester à la maison afin de garantir le bien-être des enfants, afin d’éviter la propagation du virus et afin de ne pas exposer les enfants et le personnel d’encadrement à un risque sanitaire».
L’application de cette règle sur le terrain semble cependant poser problème. Le ministère de la Santé souligne toutefois que «les parents ne sont pas obligés de présenter les résultats du test, ceci relève du secret médical». En l’absence de test, la quarantaine de l’enfant peut être prolongée de 7 à 14 jours. De plus, les parents ne pourront pas solliciter d’ordonnance pour bénéficier d’une prolongation du congé pour raisons familiales.
Des tests réguliers pour les éducateurs
Pour ce qui est de la sécurité du personnel encadrant, le MENJE informe que «les professionnels de l’éducation non formelle ont la possibilité d’introduire une demande individuelle en vue de se faire tester régulièrement». «Cette offre existe, mais je préférerais être testée plus souvent. Un test par semaine me permettrait d’avoir une plus grande sécurité, aussi vis-à-vis de ma propre famille», avance l’éducatrice que nous avons pu interroger.
D’une manière plus globale, la communication serait défaillante entre le ministère et les acteurs du terrain. Le reproche n’aurait pas lieu d’être, affirme le service presse du MENJE. «La mise en place d’une taskforce a permis une concertation systématique et régulière, voire hebdomadaire depuis fin février 2021, entre les représentants des acteurs concernés», souligne un document écrit. En outre, «des procédures à suivre (…) en cas de présence d’un cas confirmé de Covid-19 ont été mises en place».
Des règles sanitaires claires seraient aussi mises en place, dont le lavage régulier des mains, la répartition des enfants en petits groupes, le respect des distances ou la tenue maximale d’activités en plein air. Les éducateurs portent eux un masque, de préférence transparent. «Les contacts physiques avec les bébés sont bien évidemment maintenus. Avec les enfants plus âgés, le contact physique reste possible et nécessaire (consoler l’enfant, l’aider à s’habiller, etc.)», précise le MENJE sur son site internet.
Comme souvent, les avis divergent. Le MENJE promet de continuer à suivre de près l’évolution de la situation. Dans l’état actuel des choses, l’emploi de tests rapides pourrait constituer un élément supplémentaire pour réduire le degré d’incertitude dans les crèches du pays.
David Marques
Les gestionnaires lancent un «cri d’alarme»
La Fédération luxembourgeoise des services d’éducation et d’accueil pour enfants (FELSEA) affirme que les crèches et foyers privés se trouvent «au bord de la rupture».
Les problèmes sur le plan opérationnel ne sont pas les seuls auxquels se voit confronté le secteur des crèches et foyers privés. La semaine dernière, la Fédération luxembourgeoise des services d’éducation et d’accueil pour enfants (FELSEA) est montée au créneau pour dénoncer que les structures sont «soutenues trop faiblement et de manière inégalitaire par l’État». «Au bord de la rupture», les gestionnaires «en souffrance» ont décidé de lancer «un cri d’alarme» au ministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, Claude Meisch.
«Je tiens à souligner que nous ne réclamons pas un centime d’euro de plus. Mais notre secteur est traité de manière inégalitaire par rapport à d’autres secteurs d’activités, également impactés par la crise sanitaire», souligne d’emblée Arthur Carvas, le président de la FELSEA. Les problèmes structurels auxquels sont exposés les crèches et foyers privés ne sont pas nouveaux. «La situation n’a fait que s’accentuer lors des derniers mois», reprend Arthus Carvas, joint mercredi par téléphone.
À la base du problème structurel se trouve le chèque service-accueil, dont le montant est calculé en fonction des revenus des parents. Par conséquent, la subvention étatique peut varier fortement. «Une crèche située à Luxembourg ou aux alentours de la capitale voit les parents payer 60 % des frais et l’État 40 %. Dans une région plus défavorisée, la proportion tombe à 30 % financés par les parents et 70 % par l’État», illustre le président de la FLSEA. Sachant qu’en raison de la propagation du virus, le nombre d’enfants fréquentant une crèche est en diminution, les gestionnaires se trouvent privés du financement des parents.
Le ministère obtient peu de retours négatifs
La FELSEA demande une répartition plus équitable de la subvention étatique. L’aide généralisée devrait être fixée à 70 % des frais de fonctionnement. Pour ce qui est plus spécifiquement de la crise sanitaire, les crèches et foyers privés sont exclus du régime de chômage partiel. «Une aide exceptionnelle, à hauteur du niveau de chômage partiel, devrait être accordée par l’État», souligne Arthur Carvas.
Pour l’instant, des lettres allant dans ce sens sont restées sans réponse de la part du ministre Claude Meisch. Contacté par Le Quotidien, le ministère renvoie tout d’abord vers l’aide accordée aux crèches et foyers privés pendant les 12 semaines de fermeture administrative. La subvention qui est liée au chèque service-accueil aurait été versée en intégralité. En outre, les représentants de la FELSEA feraient partie intégrante de la taskforce Covid-19. «Nous sommes bien assis à la table, mais cette taskforce ne concerne que le volet opérationnel. Nos demandes répétitives pour parler du volet financier ont toutes été rejetées», fustige Arthur Carvas.
Le MENJE affirme qu’«il est difficile d’avoir une vue d’ensemble sur les situations individuelles des SEA (NDLR : Service de l’Éducation de l’accueil), car la situation peut varier d’un SEA à l’autre. Selon le retour général que reçoit le ministère, la très grande majorité des SEA réussissent à gérer la situation». Il est ajouté que «les SEA qui éprouvent des difficultés semblent être des exceptions. Par ailleurs, leurs difficultés semblent être liées à de choix spécifiques opérés dans le cadre des business modèles retenus par ces structures». Néanmoins, «le ministère réalisera une analyse plus approfondie de la situation pour avoir une image plus complète et procéder, en cas de nécessité, à des adaptations».
DM