Depuis le 2 juillet et durant tout l’été, Neimënster rend hommage aux pionnières de l’art contemporain au Luxembourg. Le commissaire de l’exposition, Alex Reding, revient sur la mise en place d’une rétrospective indispensable et «spontanée».
Tout de suite, Alex Reding précise que la mise en place de l’exposition rétrospective «Les Pionnières» s’est décidée «en réaction» à celle consacrée à Jean-Marie Biwer. Comme une urgence, en quelque sorte, de compléter l’exposition du Mudam par une autre qui se devait de rappeler que l’art contemporain luxembourgeois et le rayonnement qu’il peut avoir ne sont pas le fait d’un, encore moins de plusieurs, hommes.
La crise sanitaire étant passée par là, la reprise se fait aussi et surtout à travers la redécouverte de l’art local : Patricia Lippert, Marie-Paule Feiereisen, Carine Kraus et Flora Mar sont les quatre pionnières exposées, jusqu’au 20septembre, dans les salles voûtées de l’abbaye de Neumünster, avec pour but d’«ouvrir le spectre», selon le commissaire de l’exposition, sur les grands débuts de la peinture contemporaine luxembourgeoise.
Quel a été le moteur de la mise en place de cette exposition sur «Les Pionnières» ?
Alex Reding : Avec les annulations d’expositions qui ont suivi la crise du Covid-19, on a dû réagir de façon très spontanée. À la suite d’une conversation avec la directrice de Neimënster (NDLR: Ainhoa Achutegui), à la mi-mai ou fin mai, j’ai eu envie de réagir en faisant quelque chose, d’abord, pour l’art au Luxembourg. Il était très important pour moi de penser aux artistes qui vivent et travaillent de manière indépendante au Grand-Duché. Puis j’ai été frappé par la grande rétrospective Jean-Marie Biwer (NDLR : au Mudam, prolongée jusqu’au 30 août en raison de son arrêt prématuré), qui s’intéresse à ce grand artiste de sa génération. C’est cette génération qui a fait la scène artistique luxembourgeoise, car il y avait très peu d’artistes.
Le but était alors de faire découvrir ou redécouvrir l’autre face de cette scène artistique luxembourgeoise naissante ?
À cette époque, la fin des années 1980, il y avait une demi-douzaine de personnes qui travaillaient dans leur atelier et vivaient de leur art. Le Luxembourg n’était pas encore présent à la Biennale de Venise, et eux avaient décidé tout seuls de s’établir comme artistes indépendants en sortant de l’université. Je voulais alors souligner les positions féminines de cette génération-là. J’en ai peut-être oublié une ou deux, mais je crois que l’exposition offre un bel aperçu de ce qui s’est fait depuis la fin des années 1980 jusqu’aux années 2000. Les quatre artistes exposées ont vraiment ce rôle de pionnières.
Il faut souligner que c’est une génération où la parité hommes-femmes a été atteinte grâce au courage et au talent de ces femmes. Je trouve ça encourageant. Cela a ouvert des voies aux générations suivantes.
Quelles étaient leurs positions, à la fois en tant qu’artistes et en tant que femmes ?
Patricia Lippert est allée au ministère (de la Culture) pour leur dire : « Vous n’allez pas à la Biennale de Venise ? », puis le ministère a réfléchi et s’est dit : « Pourquoi pas ? ». Patricia et Moritz Ney ont été envoyés à la Biennale de Venise. Deux ans après, en 1990, c’était au tour de Marie-Paule Feiereisen, qui est aussi dans l’expo, d’y aller. Dans ce sens, ce sont vraiment des pionnières qui ont lutté pour se faire une place – leur place – dans le monde de l’art.
Artistiquement et stylistiquement, et c’est caractéristique au Luxembourg, elles viennent d’horizons différents. Certaines ont fait des études en France, d’autres en Allemagne ou en Suisse, et cela donne des univers atypiques et assez différents, que l’on reconnaît bien.
Quel message, dans leur art ou leur démarche, ont-elles délivré et qui a pu avoir un impact sur les générations d’artistes femmes qui ont suivi ?
Se faire accepter d’abord, car avant elles, le monde de l’art était très masculin. Leur courage et leur énergie leur ont permis de se faire accepter à niveau égal par rapport aux hommes qui dominaient la scène artistique du pays. À partir de là, être femme et artiste est devenu évident. C’est un chemin qu’elles ont ouvert vers cette normalité.
Le Luxembourg étant un petit pays, peut-on considérer qu’il a été plus facile pour elles d’accéder à la parité ?
Tout ça, ce sont des hypothèses. Il y a peut-être des avantages au Luxembourg, comme la proximité, qui rendent les carrières un peu plus faciles. Je pense que cela joue en faveur des artistes, oui. Et puis le marché de l’art est très porté par une volonté de soutenir les artistes locaux, que l’on connaît: en d’autres termes, garder le contact avec les artistes. C’est un bonus pour eux, évidemment, puisqu’il n’y a pas, par exemple, d’aspect spéculatif à l’achat entre collectionneurs. Dans cette optique, et avec cette proximité, il y a une vraie égalité des chances.
Entretien avec Valentin Maniglia
«Les Pionnières», abbaye de Neumünster, jusqu’au 20 septembre. Entrée libre.