Voilà qu’arrive, comme promis, en temps et en heure, le premier disque de Pottery. Une affaire qui ne tenait pas lieu d’évidence, surtout quand on connaît la trajectoire de ce quintette, qui préfère la spontanéité au calcul.
Sa réputation tient même d’un refus : celui de sortir son premier EP. Pourquoi ? Simplement parce qu’après avoir enregistré les morceaux en 2017, il voulait un pressage vinyle et ne trouvait pas de label à la hauteur de cette exigence. Ainsi, en novembre 2018, le magazine Vice osait le qualifier de «meilleur groupe que vous ne pouvez pas écouter, parce que ses membres refusent de sortir le disque»… Deux ans plus tard, le renommé label Partisan Records concrétisait la belle promesse avec le sobrement intitulé N°1, qui, en sept titres, confirmait au passage plusieurs évidences.
D’abord que la scène indépendante de Montréal, riche et décomplexée, se porte bien. Ensuite que Pottery, malgré des exigences qui ralentissent tout, se fie à son instinct, avec ce petit objet enregistré en 48 heures dans un format quasi live. Enfin, que la bande puise son inspiration dans le punk américain fertile des années 70 (Devo, The B-52’s), avec un amour tout particulier pour la ville de New York (Television, Talking Heads). Même les textes dépoussièrent les mythes, comme lorsqu’ils s’amusent du célèbre chanteur de country Hank Williams, ou rendent hommage à Valerie Solanas, militante féminine (SCUM Manifesto) et meurtrière ratée d’Andy Warhol.
Avec ce premier long format, Pottery garde le cap qu’il s’est fixé, et appuie même un peu plus sur l’idée qu’une production, si elle se veut honnête, ne doit pas s’embarrasser de superflu. Une philosophie que le groupe a entretenue sur scène – il a notamment assuré les premières parties de Parquet Courts en 2019 – que son chanteur Austin Boylan enflamme régulièrement. D’ailleurs, ce Welcome to Bobby’s Motel, dans le propos, renvoie aux tournées interminables en van, aux fast-foods, aux hôtels crasseux, à la cigarette et au café, à la drogue et l’alcool aussi. Bref, à la vie de bohème d’un quintette trop jeune pour se prendre au sérieux. Ainsi, le Bobby du titre est décrit comme «un pilote, un bûcheron, un papa au foyer et un danseur disco qui ne déchire jamais ses pantalons». Une blague parmi tant d’autres.
Calée sur ce ton espiègle, propre à la déconne, la musique de Pottery ne s’autorise aucune limite. Un free-rock qui prend les allures de joyeux foutoir captivant. C’est vrai, l’énergie du premier EP semble plus contenue, et le disque bénéficie d’une direction plus précise, aidée sans doute par la présence de Jonathan Schenke (Parquet Courts, Snail Mail) derrière la console. Mais ce qui frappe les esprits, c’est justement cette liberté créative, et par extension, la ressemblance, très prononcée, avec Talking Heads.
L’auditeur s’en apercevra vite après l’écoute de titres comme Hot Heater, Bobby’s Forecas, Texas Drums Pt I & II et What’s in Fashion ?. Tout au long du disque, mis en boîte en dix jours, la voix du chanteur Austin Boylan rappelle beaucoup celle de David Byrne. Que dire alors de ces influences «world» sous-jacentes, de ce groove, frais et imparable, de ces guitares légères aux élans funk ?
Jouant des épaules, Welcome to Bobby’s Motel aimerait sûrement se faire une place entre Fear of Music (1979) et Remain in Light (1980). Surtout, ce côté «rétro nostalgique», plutôt bien mené, fait la part belle à la danse et aux déhanchements frénétiques. Une invitation au lâcher-prise plutôt salvatrice. L’époque en a bien besoin.
Grégory Cimatti
Welcome to Bobby’s Motel, de Pottery.