Le revenu universel peut-il répondre à la crise financière du coronavirus? Rejetée jusqu’à récemment comme trop chère ou trop « socialiste », la politique du cash sans contrepartie rallie désormais des partisans bien au-delà des expériences à petite échelle.
Le gigantesque plan de relance américain inclut ainsi des chèques d’environ 1 000 dollars par adulte et 500 par enfant, pour les ménages les plus vulnérables.
Ces aides directes ne sont ni universelles, ni permanentes, mais elles « suscitent l’enthousiasme des deux partis », jubilait Andrew Yang, ex-candidat démocrate, sur la radio NPR dimanche.
Jusqu’à son retrait de la course à l’investiture début février, il soutenait avec ferveur le « revenu universel de base », cœur de son programme.
Une approche jugée idéaliste ou impossible à financer par ses adversaires et de nombreux experts.
Aujourd’hui, alors que la première économie du monde se regarde plonger avec horreur, c’est un conservateur, le sénateur républicain Mitt Romney, qui a mis en avant cette réponse sans précédent. Mais pas complètement inédite.
Stockton, au nord de la Californie, s’est déjà convertie à cette idée.
Depuis un an, 125 habitants de quartiers défavorisés perçoivent 500 dollars par mois, dans le cadre d’une expérience pour déterminer si le cash peut permettre de sortir de la pauvreté, ou même, simplement, de pallier les nombreuses lacunes des systèmes de protection sociale existants.
« Il faut faire confiance aux gens »
« Il faut faire confiance aux gens », affirme Michael Tubbs, le jeune maire démocrate de Stockton, une ville connue pour avoir fait faillite en 2012.
« Les besoins varient d’un mois à l’autre: la nourriture, la voiture, une urgence… Je ne veux pas prendre la responsabilité de décider pour eux », explique cet Afro-Américain qui a grandi dans la classe ouvrière.
D’après les résultats préliminaires, les bénéficiaires dépensent environ 40% des fonds en courses alimentaires.
« Cet argent m’a apporté un peu de sérénité », raconte Lorrine Paradela, qui élève seule deux enfants. « Avant je travaillais beaucoup et quand je rentrais à la maison ça continuait à tourner dans ma tête, les factures, le loyer, le frigo à remplir… »
Elle a pu quitter son deuxième travail, et aussi prendre un crédit pour se racheter une voiture après un accident. Elle rêve de reprendre ses études, même si le programme prend fin en juillet.
« On me disait que les gens allaient dépenser cet argent de façon stupide », se souvient Michael Tubbs. « Mais avec ce programme on montre qu’un petit coup de pouce peut faire la différence dans un budget serré et aider les ménages à s’en sortir par eux-mêmes ».
Sécurité
Ce programme de Stockton est essentiellement financé par le Economic Security Project, une organisation créée par Chris Hughes, cofondateur de Facebook.
Son objectif: mettre fin à la pauvreté et reconstruire la classe moyenne, notamment grâce à une allocation minimum pour tous les ménages gagnant moins de 50 000 dollars par an.
D’autres figures de la Silicon Valley, de Mark Zuckerberg (Facebook) à Elon Musk (Tesla), ont exprimé leur intérêt pour un tel filet de sécurité.
Dans la décennie à venir, « un emploi américain sur trois risque d’être remplacé par la technologie », argumentait Andrew Yang dans son programme de campagne. « Contrairement aux précédentes vagues d’automatisation, les nouveaux emplois n’arriveront pas assez rapidement, ni en assez grand nombre, pour compenser les pertes ».
« Mais vous ne pouvez pas vivre en Californie avec 1 000 dollars par mois », s’insurge Steve Smith, directeur de la communication d’une fédération de 1.200 syndicats.
« Les boîtes technologiques cherchent à éviter les critiques si jamais elles licencient en masse. Elles feraient mieux de faire en sorte que les gens puissent gagner décemment leur vie en travaillant », poursuit-il.
Simplicité
Le sentiment d’urgence économique provoqué par la crise du Covid-19 conduit de nombreux politiques et analystes à revoir leur position.
Bernie Sanders, candidat démocrate progressiste, voudrait verser 2000 dollars par mois à tous les ménages jusqu’à la fin de la crise.
Mais comment financer un tel « cadeau » ? En dépensant mieux l’argent public, répondent les partisans, qui ne décolèrent pas contre les immenses cadeaux fiscaux de Donald Trump aux plus riches en 2017, soit environ 1 500 milliards de baisses d’impôts.
« Je n’ai pas toujours été fan du revenu universel », admet Edward Alden, un expert du Council on Foreign Relations. « Mais sa vertu irrésistible, c’est sa simplicité. On remet rapidement de l’argent directement à ceux qui en ont besoin, et dans l’économie en général ».
« La plupart des foyers n’ont pas de quoi rebondir », rappelle-t-il. « Même après la solide croissance économique de cette décennie, quelques 40% des Américains disent ne pas avoir 400 dollars de côté pour faire face à un coup dur ».
AFP