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Du Centre Hospitalier de Luxembourg au Soudan du Sud


Juliette Fievez, gynécologue au CHL, se confie sur son expérience dans l'un des pays les plus pauvres du monde (Photo : Anne Lommel).

Juliette Fievez est gynécologue au CHL. Elle revient d’une mission humanitaire de six semaines au Soudan du Sud avec Médecins sans frontières, où elle a aidé de nombreuses femmes à accoucher.

Depuis deux ans, des centaines de bébés ont vu le jour au CHL grâce aux bons soins prodigués à leur maman par la gynécologue-obstétricienne Juliette Fievez. Mais début décembre, la jeune femme a décidé de troquer le blanc immaculé des couloirs du CHL et ses équipements ultramodernes pour une aventure humaine et professionnelle en s’engageant pour six semaines dans une mission humanitaire au Soudan du Sud, auprès de Médecins sans frontières, mission dont elle est revenue transformée.

Juliette Fievez, tout juste 33 ans, rêvait de devenir médecin depuis toute petite. L’influence de la série Urgences sans doute, dont elle était une grande fan. Son petit frère, qui lui a servi de cobaye dans leurs jeunes années, en sait quelque chose. «Il est resté des après-midi entiers avec de faux plâtres!»
Mais jamais elle n’aurait imaginé devenir gynécologue. Au moment de la spécialisation, lors de ses études à la faculté de médecine de l’Université catholique de Louvain, elle répétait même : «Tout sauf gynéco!» «Pour moi, ça se limitait aux contrôles. Et puis, j’ai eu un professeur qui a su m’y intéresser, de bons cours et de bons stages. Je me suis rendu compte qu’en fait c’est très varié : on fait de la radiologie, de l’endocrinologie, de la chirurgie… Il y a un suivi des patientes à long terme, on partage un moment particulier de leur vie. C’est très intime.»
Durant ses études, elle fait un stage en Tunisie. Installée à Luxembourg, l’envie de partir pour faire de l’humanitaire la reprend, d’autant que le Grand-Duché accorde quelques «congés de coopération» et que son employeur, le CHL, accepte son congé sans solde.
Elle postule chez Médecins sans frontières, qui lui propose une première fois une mission au Soudan du Sud, ce pays ravagé par la guerre civile qui a fait sécession d’avec son voisin du nord en 2011. Elle refuse. «C’était la première fois que je partais dans un contexte humanitaire et là, c’était un peu particulier : les patientes peuvent arriver à l’hôpital après plusieurs jours de travail, on est seuls, il n’y a pas de staff – dans d’autres missions, on est la seule expatriée, mais il y a une équipe locale. J’étais aussi un peu inquiète par rapport à la chirurgie, car je suis avant tout obstétricienne et il n’y avait pas de chirurgien dans l’équipe d’expatriés.»

Pakistan et finalement… Soudan

MSF et Juliette Fievez se mettent d’accord pour le Pakistan. Mais à trois semaines du départ, le voyage est annulé, la gynécologue sur place étant prolongée. MSF revient avec le Soudan du Sud. Cette fois, Juliette Fievez se lance. «J’avais vraiment très envie de partir et, en plus, un chirurgien avait rejoint la mission.»
Le 8 décembre, elle embarque direction Aweil, une ville de quelque 33 000 habitants au nord du Soudan du Sud. Une région calme malgré les troubles qu’a connus le pays, composée en majorité de Dinkas, des agriculteurs pasteurs de l’une des trois principales ethnies du pays.
À son arrivée, le dépaysement est total et, bien qu’elle connaisse l’Afrique (ses parents vivent au Gabon), la jeune femme ressent quand même le choc «thermique et culturel». «L’aéroport est minuscule, tout est manuel, il faut sans cesse ouvrir ses bagages (il n’y a pas de scanners). Les routes sont défoncées ou en terre battue.» «Mais ce n’est pas seulement une question d’argent, précise-t-elle. C’est aussi dû aux conditions climatiques : lorsque c’est la saison des pluies, le ciel vous tombe littéralement sur la tête, ça abîme tout.»
Sur le parking en terre battue de l’aéroport, des voitures d’ONG attendent ou ramènent leurs missionnaires. «C’est comme ça dans tout le pays, qui dépend énormément de l’humanitaire. Alors que le Soudan du Sud est extrêmement riche, il y a du pétrole, mais la corruption y est dramatique.»

Aweil, où a exercé notre interlocutrice (Photo : DR).

Aweil, où a exercé notre interlocutrice (Photo : DR).

Aweil possède un hôpital tenu par le ministère de la Santé. La maternité y enregistre environ 7 000 accouchements chaque année (à titre comparatif, le CHL en enregistre 3 000) et compte 14 lits d’hospitalisation avec une extension de quatre lits si nécessaire.
Juliette Fievez découvre son équipe sur place : un anesthésiste expatrié, un anesthésiste local et des sages-femmes, des hommes pour la plupart. «Tout le contraire de chez nous! Je pense qu’avant, on privilégiait les garçons pour les études. Mais le métier va sans doute se féminiser, les garçons étant désormais plutôt gardés comme main-d’œuvre dans les champs.»
Ses tâches? L’hospitalisation de femmes enceintes souffrant d’une grossesse difficile ou ayant fait des fausses couches et les accouchements difficiles, «ceux qu’on appelle les instrumentations, essentiellement les ventouses».

« Les femmes vont avoir huit ou neuf enfants »

Malgré les difficultés, Juliette Fievez n’y pratique que très peu de césariennes, «12 en six semaines, ce qui représente grosso modo moins de 5 % par an».
Elle explique : «En faisant une césarienne, vous faites une cicatrice sur l’utérus de la maman, donc vous le fragilisez. Et les femmes ne vont pas avoir un, deux ou trois enfants maximum, comme ici. Elles vont en avoir huit ou neuf. En plus, elles mettent deux à trois jours pour arriver à l’hôpital si elles ont un problème. Leur faire une césarienne, c’est les mettre en danger de mort pour les grossesses suivantes.» À noter aussi que la césarienne y est très mal vécue par les patientes. «Pour les femmes, c’est un échec. Une « bonne » femme doit savoir accoucher.»

Un choix qui a des conséquences, et pas des moindres. «Ça veut dire qu’on perd des bébés», explique Juliette Fievez. «C’est cruel, ça ne se dit pas, mais c’est la réalité.»
Là-bas, pas de monitorings. Impossible de savoir si le bébé souffre pendant le travail. Et s’il survit, il peut en garder un handicap résiduel. «C’est dur à dire, mais là-bas, notre métier, c’est de sauver la maman, pas le bébé. Le bébé, c’est un plus. Les mères ont en général huit à neuf enfants. Si vous perdez la maman, qui va s’occuper d’eux? Ici, je dois m’occuper des deux, là-bas, la seule chose qui importe, c’est la maman.»

Au cours du mois et demi qu’elle a passé à Aweil, Juliette Fievez a eu la surprise de constater de ses propres yeux le nombre particulièrement élevé de grossesses molaires, cette cancérisation de la grossesse qui se traduit par un placenta anormal et un embryon non viable. «C’est une véritable spécificité du Soudan du Sud, et il n’y pas d’explication à cela. J’en avais une par semaine alors qu’ici, au Luxembourg, j’en ai peut-être eu trois en un an.»
En général, un curetage et un suivi suffisent pour guérir la patiente. Et des traitements existent en cas de problème. Mais là-bas, c’est une autre histoire… «Quand elles arrivent, il y a un retard de diagnostic. Il n’y a pas d’échographies précoces. Elles viennent de loin, donc c’est impensable de les faire revenir toutes les semaines pour un suivi. Il faut pouvoir aussi leur faire accepter la contraception, ce qui n’est pas simple. Donc on les aspire et on croise les doigts.»
Malgré l’absence de matériel high-tech et de certains traitements, Juliette Fievez l’assure, elle a disposé de tous les moyens médicaux dont elle avait besoin pour traiter convenablement ses patientes, «mais parfois, on redéfinit ses besoins! Et on retrouve une pratique plus clinique.»

«Son foie et ses reins ne fonctionnaient plus»

L’un des exemples les plus marquants pour elle et l’une de ses plus grandes satisfactions restera sans doute cette patiente de 17 ans, arrivée à l’hôpital avec un choc septique quatre jours après avoir accouché. «Elle n’urinait plus, ses selles étaient blanches, ses yeux très jaunes. Son foie et ses reins ne fonctionnaient plus.» Faute d’appareils, les infirmiers prennent ses paramètres toutes les demi-heures, tandis que la famille de la jeune femme lui applique du miel en permanence sur les lèvres, pour éviter la perfusion de sucre constante. «C’était un travail d’équipe!»
La jeune femme échappe à la mort de peu. «J’aurais bien aimé lui faire des prises de sang pour tout vérifier, mais on n’en a pas. On peut seulement vérifier l’hémoglobine et la glycémie. Donc on revient aux basiques : j’ai su que ses reins fonctionnaient quand elle a refait pipi, idem pour son foie, en regardant ses yeux et ses selles.»

Outre la distance et les transports inexistants, qui provoquent des retards de diagnostic ou de soins, l’une des plus importantes difficultés rencontrées, c’est le manque de sang. «On espère toujours que les patientes viennent avec la famille et que les groupes sanguins soient compatibles. Elles sont anémiées chroniquement, sans compter les hémorragies.»
Car l’une des autres tâches de Juliette Fievez à l’hôpital d’Aweil était de gérer les problèmes post-accouchement : hémorragies, infections, abcès au sein. Elle a d’ailleurs une anecdote à ce sujet à partager : «Une patiente est venue une semaine après un accouchement pour un abcès au sein, mais sans son bébé. Or il fallait qu’il soit là pour tirer le lait. Elle m’a alors expliqué qu’elle était venue à la nage! Je lui ai dit qu’elle ne pourrait pas repartir à la nage, son sein allait être ouvert. Mais pour le retour, elle avait prévu une barque!»

Juliette Fievez a eu la chance de ne pas perdre de patiente durant sa mission, laquelle a eu un énorme impact sur la gynécologue. «Ça m’a consolidée dans mes acquis, je me fais beaucoup plus confiance. On ne dispose pas de plein d’instruments pour se rassurer. Et j’ai fait de la chirurgie là-bas. Je suis fière de ce que j’ai fait.»
Compte-t-elle repartir? «Si les étoiles sont alignées, je n’ai pas de raisons de ne pas repartir. Que ce soit au Soudan du Sud ou ailleurs, pour une autre expérience.»

Tatiana Salvan

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