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Luxembourg : un toxicomane raconte son quotidien et ses espoirs


La cocaïne, il la fume et se l'injecte. Pas l'héroïne : "j'ai trop peur de mettre une dose trop forte dans la seringue", explique E.M. (illustration Fabrizio Pizzolante)

Rencontré lundi dernier à l’Abrigado de Luxembourg, le jeune E.M., 32 ans, qui se dit «polytoxicomane», a accepté de se confier et explique de quoi est fait son quotidien.

Pouvez-vous brièvement vous présenter ?

E. M. : Je suis du Luxembourg. Je suis né ici et j’ai fait mes études ici… bref j’ai grandi au pays, dans le sud plus précisément.

Quand et dans quelles circonstances avez-vous commencé à consommer de la drogue ?

J’ai touché à mon premier joint (de cannabis) à 14 ans. Un an plus tard, j’ai commencé à en fumer régulièrement. À 20 ans, j’ai pris mon premier « trait » de cocaïne, sur mon lieu de travail; j’étais barman.

Ensuite, à 25 ans, j’ai commencé à goûter un peu à tout : ectasy-MDMA, speed, champignons magiques, héroïne. Quand j’ai atteint l’âge de 27 ans, après le décès de ma mère des suites d’un cancer, j’ai commencé à consommer tous ces stupéfiants, mais aussi de l’alcool, de manière plus régulière. Il n’y avait pas un jour où je n’étais pas sous influence.

Aujourd’hui, quels types de drogues consommez-vous ?

Toutes les drogues que j’ai évoquées, à part le LSD.

Que consommez-vous à l’Abrigado ?

Cocaïne et héroïne. Je bois aussi de l’alcool et fume du cannabis, mais à l’extérieur de l’enceinte de l’Abrigado.

L’héroïne, je la fume uniquement

Comment consommez-vous la cocaïne à l’Abrigado ?

Je la fume et je me l’injecte. Quand je la fume, je la prépare avec du bicarbonate ou de l’ammoniaque pour la purifier. Après elle (NDLR : la galette de crack qui ressort de la manipulation chimique dans la cuillère) se fume par le biais d’une pipe, d’une bouteille en plastique ou même sur une feuille d’aluminium. Pour ce qui est de l’héroïne, je la fume uniquement. J’ai déjà pris de l’héro par voie intraveineuse, mais ce n’est plus le cas. Je préfère ne pas la consommer de cette façon.

Pourquoi évitez-vous de prendre de l’héroïne par injection, alors que vous la fumez ?

Car j’ai trop peur de mettre une dose trop forte dans la seringue; j’ai déjà connu une mauvaise expérience de ce type, début 2018, et j’ai failli y rester. Heureusement, une bonne connaissance était à côté de moi. Cela m’a sauvé la vie.

Comment est prise la « coke » à l’Abrigado ?

Il n’y a pas beaucoup de gens qui la sniffent. Sur 50 personnes que je connais, on va dire qu’il y en a deux qui sniffent, 25 qui la fument et 23 qui se shootent avec. Entre l’inhalation et l’injection, la proportion est donc presque la même.

À quoi ressemble votre quotidien ? Comment se passe une journée type pour vous ?

Cette nuit, j’ai dormi à l’asile de nuit de l’Abrigado; j’y dors d’ailleurs depuis la fin du mois de septembre, car j’étais en thérapie en Allemagne jusque-là. La thérapie a duré 25 semaines.

Vous étiez en thérapie pour un sevrage ?

Il s’agissait d’une thérapie psychosomatique et destinée effectivement à me sevrer.

Et vous avez donc rechuté depuis ?

J’ai réussi ma thérapie, mais le jour où je suis sorti, personne ne m’attendait au Luxembourg. Avant cette thérapie, je vivais en couple à Luxembourg, mais ma compagne m’a quitté pendant la thérapie par le biais d’une carte postale.

Bref, en revenant d’Allemagne, j’ai voulu fêter cette réussite, et j’ai bu, fumé du cannabis et de la cocaïne. En clair, j’ai terminé ma thérapie le 26 septembre dernier; mais le 28, j’étais de retour à l’Abrigado.

Revenons à votre journée-type…

Alors, ici à l’asile de nuit de l’Abrigado, on doit commencer à sortir à 7h15 et être sorti, au plus tard, à 7h30.

Et ensuite, que faites-vous quand vous devez sortir de l’Abrigado le matin ?

Ce matin, j’ai fumé de l’héroïne dans la rue et deux pipes de coke (crack) et je me suis fait un shoot de coke. Sinon, j’ai parlé avec des gens, je suis allé à la pompe à essence acheter deux bières pour une connaissance qui est interdite d’entrée dans ce commerce. Il y a d’ailleurs beaucoup de gens qui ne peuvent plus y entrer notamment à cause de vols qu’ils y ont commis. Moi, voler, ce n’est pas mon genre.

99% des femmes que je connais se prostituent

Justement, comment faites-vous pour vivre et pour financer votre consommation de drogue ?

Je touche le Revis (NDLR : revenu d’inclusion sociale).

Comment s’en sortent financièrement les gens que vous côtoyez et qui ne perçoivent pas le Revis ?

Ils braquent, volent, dealent… quant aux femmes, 99% de celles qui fréquentent l’Abrigado et que je connais, se prostituent et cela, tous les jours. J’en connais une seule qui ne le fait pas et qui ne l’a jamais fait.

Combien payez-vous la « boule » de coke à Luxembourg ?

Ça dépend de l’argent qu’on peut mettre, car les dealers s’adaptent : à Luxembourg on peut acheter 0,2 g pour 10 euros, 0,4-0,5 g pour 20 euros… et après le gramme entier, ça peut monter jusqu’à 80 euros.

Concernant votre alimentation, où mangez-vous, habituellement ?

Des fois je m’achète quelque chose à la pompe à essence. D’autres fois, je vais au « Courage » où ils te donnent des sandwiches. Sinon, le soir, il y a un van des « Stroossen Englen » qui vient devant l’Abrigado, trois fois par semaine, et qui distribue du pain, des sandwiches, des yaourts, de la soupe, du café…

Est-ce difficile de vous alimenter ou avez-vous un bon appétit ?

Quand je prends de la drogue, cela me coupe la faim, à part quand je fume du cannabis : la substance m’ouvre l’appétit.

Certains font des choses de fou

Par rapport à la loi, ne trouvez-vous pas étrange le fait que vous puissiez consommer des drogues, en toute impunité, à l’intérieur de l’Abrigado, alors que vous pourriez être arrêté par la police sur le trottoir en face avec des stupéfiants dans la poche ?

Je trouve que c’est normal : si je consomme sur la voie publique, il y a des gens – dont des enfants – qui pourraient passer et me voir…

Cela dit, je pense qu’il faudrait peut-être faire quelque chose lorsque l’Abrigado est fermé et qu’il fait mauvais temps. Car dans ces conditions, les gens que je côtoie vont dans des parkings souterrains ou dans les entrées d’habitations; moi aussi, je l’ai fait ! Ce n’est pas forcément pour squatter mais pour être au sec et consommer vite fait. Car sinon, on est obligés de rester à côté de l’Abrigado, où se trouve un ancien garage; là, on peut se couvrir un peu. Ce serait bien que les heures d’ouverture de l’Abrigado soient élargies ou que l’on installe simplement un ou plusieurs abris sur le terrain de la structure. Je dis « plusieurs » car sinon les gens vont encore se disputer pour les places de libre.

Et cette solution pourrait éviter que certains installent leurs tentes personnelles sur le terrain de l’Abrigado…

Peut-être. Mais pour revenir à l’idée d’abris, je pense que les autorités ont peur qu’ils soient vandalisés. Je connais des gens qui, lorsqu’ils ont consommé de la coke, font des choses de fou. Sur le terrain de l’Abrigado, il y a une flaque faite d’urine et d’excréments; j’en vois certains qui creusent à mains nues à cet endroit, parce qu’ils croient qu’il y a de la coke qui y serait enterrée.

Quelle est votre relation avec la police grand-ducale ?

Je trouve que la police fait très bien son boulot. Sincèrement. D’ailleurs, ils sont très présents ici devant l’Abrigado. Les policiers qui me connaissent ne me demandent même plus de présenter ma carte d’identité. Quand ils me voient, ils me disent « bonjour monsieur M. ». Mais les jeunes policiers qui ne me connaissent pas, eux, contrôlent mon identité. Sinon, jamais je me suis fait fouiller, contrairement à certaines autres personnes qui fréquentent l’Abrigado. Et je trouve cela normal, car le coin, ici, a changé de A à Z depuis que je viens à l’Abrigado, c’est-à-dire depuis 2017.

Les gens nous considèrent comme des rebus de la société

Où achetez-vous votre came ?

On peut se procurer ce qu’il faut sur le terrain où se trouve l’Abrigado; mais ce sont des dealers qui viennent de l' »extérieur ».

Sont-ils surveillés, à votre avis ?

J’ai déjà vu la police embarquer plusieurs mecs qui dealaient. Après je ne sais pas si la police ferme les yeux dans certains cas, mais si elle contrôlait convenablement certaines personnes, c’est 1/5 des personnes qui traînent ici, sur le terrain de l’Abrigado, qui seraient embarquées.

Quel regard est porté sur vous, lorsque vous sortez de l’enceinte de l’Abrigado ?

Ce sont souvent des regards méprisants : les gens nous dévisagent et nous considèrent comme des rebus de la société. Mais il y a aussi des personnes qui viennent vers nous, nous donnent à boire et à manger.

Qu’avez-vous envie de dire aux gens qui vous méprisent ?

Moi, personnellement, je n’ai rien envie de dire à personne. Ce n’est pas mon genre de faire la morale à qui que ce soit. Les gens font ce qu’ils veulent et moi je sais ce que je vaux, ce que je suis capable de faire, ce que je veux et ce que je vais faire. Je vaux mieux que ce que je suis en train de vivre pour le moment. Je parle huit langues, je suis fort en mathématiques… oui, je vaux mieux que ça !

J’ai énormément besoin de parler, de me confier

Vous souhaitez décrocher définitivement, donc ?

Oui. Je suis à nouveau en suivi d’orientation thérapeutique. Je suis sur la liste d’attente pour faire une désintoxication, qui dure 3 semaines. Et ensuite je vais suivre une thérapie d’au minimum 12 mois. J’ai énormément besoin de parler, de me confier. Mon objectif final est de me remettre sur le bon chemin : trouver un travail, un logement…

Pensez-vous que la volonté d’y parvenir est assez forte ?

Oui, je suis animé d’une véritable volonté de m’en sortir et de pouvoir vivre normalement, malgré mon passé et ma vie actuelle de toxicomane. Cela signifie de pouvoir vivre bien, sans devoir replonger au premier coup dur émotionnel !

Entretien avec Claude Damiani

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