C’est en fanfare, ce week-end, que les jumelles de la capitale ont repris vie, alors qu’elles étaient sans souffle depuis 2007. Deux jours de festivités qui ne masquent pas le plus important : redonner à l’endroit la même énergie que lors de l’année culturelle.
Une marée noire de 6000 personnes samedi et une ambiance familiale le lendemain: durant deux jours pleins, les Rotondes ont réussi leur retour en grâce avec ce qu’elles savent faire de mieux, entre concerts et théâtre.
Gros potentiel de coolitude, ici. #Rotondes #Luxembourg pic.twitter.com/Bha7p09b6F
— Youssef Ghali (@PlacementLibre) 13 Juin 2015
Voilà un rendez-vous que l’on n’attendait plus, car éternellement repoussé aux calendes grecques. Comme quoi tout arrive, même quand les politiques et la sclérose bureaucratique s’en mêlent… Oui, ce week-end, les Rotondes ont ouvert leurs portes. Deux jumelles en stand-by depuis la fin de l’année «européenne de la Culture» en 2007 pour cause de réhabilitation imposée et nécessaire.
Mais l’argent manquant, justifié par ce récurrent refrain sur la crise, il a fallu patienter, encore et encore, certes dans un écrin de qualité, rue de Hollerich (hall Paul-Wurth). Une attente finalement pas si négative que ça : elle aura au moins permis à une équipe de se constituer, à une philosophie de s’affiner, à des choix artistiques d’imposer leurs pattes «alternatives». Mais tout charme a ses limites, et les Rotondes, même auréolées d’un éphémère succès, ont des attraits qui ne se refusent pas.
On l’aura compris, cette (ré)ouverture est surtout une question d’histoires et d’histoire. Ici et là, le cerf bleu faisait une apparition furtive, nous rappelant à ses bons souvenirs. Avec l’artiste Trixi Weis et son «New Playground», il s’affiche même fièrement aux yeux du public, avec cette installation où elle a recyclé les gobelets Bloen Hirsch. Dans l’exposition «Rotondes 2.0 : les possibilités», les deux bâtiments prennent la forme de projets d’utilisation ayant vraiment existés ou d’autres purement fantasmés.
Le show du duo Garcia-Dentzer
On est donc passé à côté de l’Aquadôme, d’un cirque, d’un parc à vélos ou encore, plus étrange, de macarons géants. Pour les illuminés que ça motive encore, le gouvernement a encore 10 millions d’euros dans les tiroirs en vue de la réhabilitation totale (à venir?) de la Rotonde 2. À bon entendeur. Mais qui de mieux, finalement, que Robert Garcia, directeur des lieux, pour faire le lien entre le passé, le présent et le futur. Il n’aurait en tout cas pas renié la phrase d’Oscar Wilde «Le progrès n’est que l’accompagnement des utopies», lui qui y a toujours cru, contre vents et marées. Alors, ce samedi de portes grandes ouvertes, c’était un peu son jour.
Et, en milieu d’après-midi, après les habituels discours des dirigeants à la queue leu leu (Maggy Nagel, François Bausch, Lydie Polfer), il a concocté un show avec une partenaire de choix, la conteuse Betsy Dentzer, qui, par sa qualification même, n’a pas d’égal pour narrer des fables, aussi réelles soient-elles. Et c’est devant le couple grand-ducal héritier Guillaume et Stéphanie que le duo s’est lancé dans un spectacle aux petits coups bas et aux piques revanchardes bien sentis.
Un prêche qui s’imposait, au vu de la belle composition du parterre d’invités, auquel il avait pourtant annoncé que «tout était pardonné»… Il a même tenu promesse en prévoyant quelques distributeurs de cacahouètes et de l’eau plate, comme il s’était juré de le faire après une coupe budgétaire de trop. Bon, n’exagérons rien, pour le reste, la fête tenait du haut standing, genre «the place to be» du samedi soir. « Il y a du monde!», pouvait-on entendre régulièrement au cœur de la masse, un peu comme il y a un mois, lors du pot d’adieu rue de Hollerich, mais dans d’autres proportions. «On a fait 6 000 personnes en huit heures, alors qu’on en fait 4 000 en été durant un mois de « Congés annulés »», souffle Marc Scozzai, responsable communication et relations publiques des Rotondes, encore retourné par l’ampleur inattendue de ce succès.
Pas sûr, toutefois, les prochaines semaines, que l’on retrouve tout ce beau monde sur le même parvis. En tout cas, les commentaires allaient bon train, de ceux regrettant déjà l’ancien fief à d’autres admiratifs des courbes des Rotondes. On a même eu le droit à un «ceux qui sont là ont sûrement tous voté oui au référendum».
L’ambiance était bon enfant, comme dans une fête foraine 2.0, où un DJ jouerait à côté d’une attraction, à l’instar de cette grande boîte «mystérieuse» ou de ce moment expéditif de western, proposé par la déjantée compagnie néerlandaise De Stijle Want.
Adrien, rabatteur rigolo, témoigne dans son accent rocailleux : «Ce week-end a changé l’image et l’opinion que j’avais du Luxembourg. Les sourires étaient très nombreux.» C’est vrai que, le soleil aidant, l’atmosphère était au zénith, même s’il fallait régulièrement jouer des coudes pour tracer la foule, et se montrer patient pour obtenir de quoi se désaltérer, la bière fraîche devenant même un produit de luxe au fur et à mesure que la soirée avançait.
Vitale, pourtant, pour supporter la touffeur du Klub, nouveau nom de l’ancien Exit07. Sa forme en haricot va-t-elle plaire aux amateurs d’expériences musicales ? Pas évident de se positionner à l’écoute des premières réactions alternant le chaud et le froid, surtout que l’acoustique n’est pas encore au point. Le festival «Congés annulés», en août prochain – premier grand rendez-vous au sein des Rotondes – devrait donner une vision plus aiguisée de tout le potentiel de la salle.
[Best_Wordpress_Gallery id= »110″ gal_title= »Rotondes »]Mdou Moctar et son blues du désert
Le groupe luxembourgeois No Metal in This Battle, lui, n’a pas attendu et apportait un début de réponse, par l’entremise de son batteur Giovanni Trono. Un avis qui compte, ne serait-ce que parce que sa bande a joué à la soirée de clôture et à celle d’ouverture. «J’avais une appréhension, c’est sûr, surtout au vu de cet endroit allongé aux allures un peu bizarres. Mais à mon avis, on retrouvera le côté intimiste de l’ancien lieu.»
Dans ce sens, contrairement à Hollerich, les solutions sont plus nombreuses. Mdou Moctar, sensation musicale de la soirée avec son blues désertique dans la même veine que Tinariwen, a choisi de se glisser dans un recoin avec ses deux acolytes. D’autres, aux élans binaires, avaient droit aux largesses de la grand scène (Binary & Dyslexic, Hermigervill, Dan Deacon…), tandis que les platines animaient le désordre et l’encombrement de l’extérieur, jusque tard dans la nuit. Comme annoncé, le lendemain, on baissait les watts tout en restant dans l’esprit bobo-hipster avec un brunch matinal du plus bel effet.
Dimanche était en effet placé sous le signe des familles et des enfants, autre spécialité maison, portée par l’incroyable réussite du programme Traffo. Ainsi, dans la grande salle, ainsi que dans une troisième structure appelée Container City, différents artistes se sont succédé pour de brèves performances. Dans la Rotonde 1, l’exercice semblait même être un avant-goût de la saison théâtrale à venir, avec des comédiens-metteurs en scène «maison» que l’on retrouvera à la rentrée, début octobre (Max Hinger, Milla Trausch, etc.).
Car au-délà des excès de cette ouverture, c’est bien l’avenir qu’il va falloir dessiner : optimiser les salles, l’interaction entre les disciplines, fidéliser le public, maîtriser le budget… Autant de sujets, aujourd’hui en pointillé, que les Rotondes vont devoir prendre en compte. Elles qui se voient comme des «exploratrices culturelles» ont aujourd’hui une terra incognita à défricher. Betsy Dentzer devra attendre avant de conclure avec un classique «et elles vécurent heureuses». Il reste, en effet, encore de nombreux chapitres à ajouter à cette nouvelle histoire.
Grégory Cimatti