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À Venise, le « paradis luxembourgeois » vu par Filip Markiewicz


Le Grand-Duc héritier Guillaume, son épouse, Stéphanie, et Maggy Nagel, la ministre de la Culture, visitenten compagnie de Filip Markiewicz (à g.) le pavillon luxembourgeois, à la Ca' del Duca, à Venise. (photo Cour grand-ducale/David Nivière)

Tous les deux ans, la fine fleur de l’art contemporain se donne rendez-vous pour la Biennale de Venise. Avec «Paradiso Lussemburgo», l’artiste Filip Markiewicz y représente le pays en offrant une lecture ironique et critique d’un Grand-Duché désenchanté.

Dans une cour intérieure on ne peut plus paisible, à l’abri des ruelles qui fourmillent de touristes, se dresse la maison Ca’  del Duca, qui abrite le pavillon luxembourgeois. Ici, l’artiste multidisciplinaire Filip Markiewicz présente une série de dessins, de vidéos et d’installations visuelles et sonores questionnant les notions de paradis et d’identité nationale et notre rapport aux médias.

Pour captiver le visiteur dans ses observations, l’artiste utilise toutes sortes de supports. Du tapis rouge de l’entrée à la discothèque qui, en fin de visite, se veut une expérience cathartique, en passant par les roses saignantes pendant du plafond, Markiewicz n’a pas peur des grands gestes. Frôlant le kitsch et la démesure, il divertit le visiteur tout en le confrontant à une réalité peu amusante. Le titre du projet, «Paradiso Lussemburgo», est à voir comme le point de départ des multiples questionnements de l’artiste.

Le Grand-Duché est-il une sorte de paradis? Est-il perçu comme un paradis par ses habitants, ses voisins, le monde entier? Et est-il possible d’avoir un paradis sans l’enfer qui va avec? Filip Markiewicz s’interroge sur le lien qu’entretiennent les Luxembourgeois avec leur propre pays, ainsi que sur la vision extérieure sur cette forteresse européenne qui, tel un jardin d’Éden, semble encore et toujours épargnée par les malheurs qui touchent ses pays voisins.

Des frères Schleck aux migrants anonymes

Mais, comme l’a montré la récente affaire LuxLeaks, évoquée dans l’exposition grâce à la projection sur trois écrans du film Journey to the End of an Identity , ce paradis (fiscal) a fini par prendre des bosses. De plus, le pays ne peut se permettre de rester dans sa coquille, et est de plus en plus confronté aux réalités du monde, comme la crise économique en Grèce ou les attentats meurtriers de Paris.

En jouant avec ces références, Markiewicz questionne également notre rapport aux médias. Dans une série de dessins au crayon rappelant un zapping incontrôlé et frénétique, l’artiste rassemble des personnages médiatiques devenus des icônes du quotidien. On y retrouve le Grand-Duc et les frères Schleck, les réfugiés anonymes et les politiques qui décident de leurs destins, Vladimir Poutine aux côtés de Conchita Wurst.

L’image n’est pas le seul moyen qu’utilise l’artiste luxembourgeois pour inciter à la réflexion. Des énoncés, se lisant tel un manifeste postulant un monde sans nations, sans frontières et sans dogmes, accompagnent les dessins et installations. Au caractère utopique s’ajoutent des moments comiques, ironiques aussi bien que cyniques et tragiques. Sans être moralisateur, le pavillon de Markiewicz pose plus de questions qu’il ne fournit de réponses. Son analyse de notre société moderne part de la culture populaire pour frôler la politique, l’histoire de l’art et encore la littérature.

Riche, l’œuvre avance de multiples niveaux de lecture. Ainsi, dans sa baignoire remplie de sang, l’hémoglobine coule de fleurs accrochées au plafond. Devant la baignoire se trouve une barque en miniature remplie d’êtres humains. Nous retrouvons ainsi des allusions à la Méditerranée et aux morts lors des naufrages de réfugiés, mais également des renvois à la mort de Marat dans sa baignoire et aux Fleurs du mal de Baudelaire. Les références s’accumulent et changent par rapport au bagage visuel et émotionnel de chaque visiteur. Ainsi, nul besoin d’être luxembourgeois pour apprécier ce «Paradiso Lussemburgo».

Laura Kollwelter

>> Jusqu’au 22 novembre. www.paradisolussemburgo.lu / www.labiennale.org

« Venise, c’est irréel ! »

Filip Markiewicz, né en 1980 au Luxembourg, est un artiste plasticien, musicien et écrivain. Pour la 56 e Biennale de Venise, le jeune artiste, qui a déjà exposé au Mudam et au CarréRotondes, représente le Luxembourg.

Le Quotidien : Racontez-nous comment la Biennale de Venise vous a traité jusqu’à présent?

Filip Markiewicz  : C’est presque un monde irréel ici! Mais c’est très agréable de pouvoir exposer pour un public aussi international. On peut parler et échanger des idées avec littéralement tout le monde. Je ne peux pas me plaindre.

Le pavillon traitant avant tout des réalités dans un contexte grand-ducal, quelles sont les réactions des non-Luxembourgeois qui visitent l’exposition?

J’avais un peu peur de ces réactions. Néanmoins, dès le départ, j’ai voulu créer une exposition lisible à différents niveaux et accessible à des publics divers. Mes œuvres ont un aspect populaire utilisant des icônes connues par tout le monde. Jusqu’à présent, les réactions ont été très positives.

Le titre du pavillon est « Paradiso Lussemburgo », l’abréviation PL, les initiales du pays natal de vos parents, la Pologne. Quel rôle joue la notion d’identité nationale dans votre travail?

Depuis mon adolescence, je me pose des questions sur mon identité, sans pour autant trouver de réponse. J’ai l’impression que la société attend de nous de courir sous un drapeau défini. Je trouve cela problématique. Évidemment, j’ai également joué sur le fait que toute la Biennale fonctionne par pavillon national. Je joue donc le jeu… mais en le mettant en question de manière ironique.

 

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