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Main d’oeuvre frontalière : une pénurie annoncée


Avec la chute démographique à venir d'ici 2035 dans la Grande-Région, c'est tout le problème de l'accès à la main d'oeuvre frontalière qui se pose (Photo d'illustration : Hervé Montaigu).

Tout le concept du développement économique du Luxembourg porte sur une croissance soutenue que les frontaliers rendent possible. Mais tous les indicateurs montrent que le réservoir de main-d’œuvre se tarit.

Les chiffres assez incroyables qui vont suivre n’ont pas été découverts par l’Agence d’urbanisme de Lorraine Nord (Agape), ils existaient déjà, mais n’avaient jamais été étudiés sous cette nouvelle perspective. «Nous avons simplement recollé les données démographiques que nous avons récupérées dans chaque région (NDLR : Grand Est, Wallonie, Rhénanie-Palatinat, Sarre et Luxembourg)», explique Michaël Vollot, en charge de ce dossier.
Même ces spécialistes ont été surpris, car les perspectives qu’ils sous-entendent pour 2035 – dans seulement 17 ans – remettent sérieusement en question les modèles économiques qui ont cours aujourd’hui. Y compris, et même surtout, pour le Luxembourg. Ce n’est pas tant la croissance de la population qui est en cause, mais l’évolution spécifique de la population en âge de travailler (les 15-64 ans, statistiquement), principalement de l’autre côté de la Moselle.
Depuis les années 1970, le taux de natalité s’est effondré en Allemagne. Il avait atteint son point le plus bas au milieu des années 1990 avec à peine plus de 1,2 enfant par femme et il se situe aujourd’hui autour de 1,5. Sachant que le seuil de renouvellement se situe à 2,08 enfants par femme, la population allemande, faute d’enfants, vieillit inexorablement et l’on arrive désormais à un tournant.
La Sarre, d’ici 2035, devrait perdre 119 000 habitants, dont 115 000 de 15 à 64 ans. En Rhénanie-Palatinat, la situation est pire encore. Si la population totale chutera de 152 800 personnes, le Land comptera surtout 458 400 actifs en moins. C’est énorme. Pour donner une échelle de grandeur, les deux Länder vont perdre autant d’habitants en âge de travailler que le Luxembourg compte d’habitants.

(infographie : Agape / droits réservés)

(infographie : Agape / droits réservés)

570 000 actifs en moins en Sarre et Rhénanie
Ces tendances ne sont pas propres aux deux Länder frontaliers du Luxembourg, tout le pays s’apprête à entrer dans un nouveau cycle qui verra sa population décroître implacablement. C’est avec ce prisme qu’il faut regarder l’accueil de plus d’un million de migrants depuis 2015. Mais ces nouveaux arrivants n’ont pas suffi à faire inverser la tendance démographique, loin de là.
L’Allemagne n’est pas la seule à pouvoir s’inquiéter de sa pyramide des âges, la situation est assez comparable en Lorraine. Sa population comptera 22 400 d’habitants en moins en 2035, mais le solde de sa population active baissera de 155 400 personnes.
Dans ce contexte tendu, la Wallonie ne s’en sortirait pas si mal avec un accroissement de sa population de 366 000 habitants et 33 500 15-64 ans en plus.
Le Grand-Duché, lui, caracole en tête avec une population qui grandira de 125 600 habitants, dont 56 200 actifs. Mais cette situation ne permettra pas de répondre aux besoins d’une économie qui aura toujours besoin de plus de main-d’œuvre pour assurer la croissance qui lui permet de rester sur ses grands pieds. Croissance qualitative ou pas. Entre 2010 et 2016, par exemple, plus de 59 000 emplois ont été créés au Grand-Duché, soit plus que dans toute l’Île-de-France (+52 000)!
Si ces scénarios se réalisent, et ils sont tout ce qu’il y a de plus probables, il sera donc de plus en plus difficile de recruter. Un seul bassin de population sera en mesure de proposer de la main-d’œuvre : la Lorraine. On peut donc s’attendre à une concurrence entre l’Allemagne et le Luxembourg pour attirer les travailleurs. La Sarre a déjà entrepris son opération de séduction envers la France, en lançant un plan qui vise à ce que toute la population soit bilingue d’ici 2043.

De plus en plus de frontaliers lorrains
Puisque, malgré tout, le nombre de frontaliers augmentera fortement (102 000 navetteurs supplémentaires attendus en 2035), la question de la mobilité n’en sera que plus prégnante. Or la part des frontaliers venus de Lorraine ne fera que croître. Des 90 000 qui franchissent aujourd’hui la frontière pour travailler, ils passeront à 153 000 d’ici 2035. Et fatalement, les flux se dispersent puisque les territoires les plus proches de la frontière ne peuvent pas accroître aussi vite leur capacité d’accueil. L’ironie de la situation se situe dans le fait que la frontière française est la plus petite du Grand-Duché : les problèmes de mobilité sont donc loin, très loin d’être réglés…

Erwan Nonet

La publication est consultable dans son intégralité ici.

« L’avenir est incertain »

La main d'oeuvre frontalière est une composante indispensable de l'économie... (illustration Editpress)

La main d’oeuvre frontalière est une composante indispensable de l’économie… (illustration Editpress)

Les projections que vous proposez ici sont assez inquiétantes pour la Grande Région…
Aurélien Biscaut, directeur de l’Agape : Oui, nous avons sorti cette publication pour tirer la sonnette d’alarme, pour qu’elles fassent évoluer les consciences. Nous ne sommes pas seuls à travailler là-dessus.
Avez-vous la sensation d’être entendus?
Au niveau de la Grande Région, nous sommes loin de répondre à ces enjeux. Lorsque je vois que le Luxembourg investit 3,9 milliards d’euros pour son réseau ferré et que seuls 120 millions sont dédiés aux infrastructures transfrontalières, le compte n’y est pas. Nous trouvons que l’avenir est très incertain et la mobilité n’en est qu’une conséquence, certainement pas une cause.
La Grande Région est-elle outillée pour anticiper sur ces questions?
Non. Les autres régions frontalières – le Rhin supérieur par exemple – ont des structures transfrontalières pour traiter ces questions. Ici, il n’existe pas de réflexions globales alors que l’interdépendance des territoires est énorme. C’est dommage car nous avons tout pour aller bien avec un moteur économique comme le Luxembourg.
Le projet Mmust (un outil de modélisation de la mobilité transfrontalière), qui vient d’être lancé, permettra-t-il de faire avancer ces questions?
C’est notre souhait, oui. Pour la première fois au niveau européen, trois pays sont impliqués dans un tel projet (NDLR : le Luxembourg, la France et la Belgique, l’Allemagne est observatrice). C’est encourageant!
Propos recueillis par Erwan Nonet

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