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Le Luxembourg de Markiewicz


Filip Markiewicz présentait, mercredi après-midi, au Mudam, son Paradiso Lussemburgo, à côté du curateur Paul Ardenne, en pleine méditation. (Photo : Isabella Finzi)

À la Biennale d’art contemporain de Venise, qui débute dans deux semaines, le Luxembourg sera représenté par Filip Markiewicz. Il y présentera, justement, un portrait critique et tout personnel du Grand-Duché.

Dans un large sourire et usant de ce côté taquin qu’il masque avec difficulté, il lâche : «L’affaire LuxLeaks est arrivé au bon moment!» Filip Markiewicz, artiste-observateur qui tire son inspiration des convulsions d’un monde moderne à la dérive, se frotte les mains. Son projet «Paradiso Lussemburgo», qu’il présentait mercredi au Mudam – et qui sera dévoilé grandeur nature dans deux semaines à la 56e Biennale de Venise – y gagne encore plus de sens et plus de mordant.

L’homme, la trentaine entamée de moitié, disposant de plus d’une corde à son arc (plasticien, vidéaste, musicien, performeur…) a en effet décidé, pour cette intronisation internationale à l’italienne, de parler de ce Luxembourg qu’il aime et déteste à la fois. Celui des banques opaques et du blanchiment d’argent, tant pointé du doigt au-delà des frontières. Celui de l’intégration réussie et du bien vivre, défendu par d’autres de l’intérieur. Lui se place entre les deux et brouille les cartes. Taquin, on vous dit.

Reste que son envie récurrente de plonger dans l’actualité pour y révéler la violence du réel (politique, moral, économique…) a trouvé un soutien fort en la personne de Paul Ardenne, commissaire de son exposition vénitienne. Mélange de puissance physique et de finesse intellectuelle, ce dernier retrouve dans cette expérience ses origines, celles d’un historien géographe, spécialiste de l’histoire contemporaine.

Le costaud et l’artiste

Comme animé d’un souffle revigorant, il lâche : «Une œuvre qui condenserait l’identité d’un pays, c’est unique! Quel artiste fait la même chose aujourd’hui? Je n’ai en tout cas trouvé aucun équivalent», s’excuse-t-il presque, posant un regard quasi paternel sur son poulain. Il faut dire que le duo fonctionne à merveille. D’un côté, le costaud à la verve inépuisable et aux anecdotes en pagaille. De l’autre, le rêveur-poète, la tête dans les nuages mais les pieds solidement ancrés sur terre. Entre rêve et cauchemar. Entre paradis et enfer.

Le curateur poursuit : «Le but de ce « Paradiso Lussemburgo », c’est de casser les caricatures, explique-t-il. Que les spectateurs visitent le pavillon sans préjugés. Cette œuvre est une allégorie visuelle, une métaphore, une « vision ». Il ne s’agit donc pas d’adhérer mais de recueillir une impression, des sensations. C’est une proposition, pas l’expression d’une vérité.» La vérité, donc, de Filip Markiewicz, qu’il développe sur les six salles de la Ca’ del Duca, à voir comme autant d’actes d’une pièce de théâtre, à l’instar de cette phrase d’Oscar Wilde en guise de mise en bouche.

La suite, elle, est un amoncellement de dessins et d’autres installations, avec toutefois un axe central qui est une vidéo (Voyage au bout d’une identité), projeté parallèlement sur trois écrans, «point de départ» de son œuvre, avec le duo Leila Schaus-Luc Schiltz, «icônes récurrentes» de l’exposition. Un film qui «part de l’histoire du Luxembourg» – on passe ainsi par la cathédrale ou la Chambre des députés – mais dont le développement glisse «vers quelque chose d’onirique, voire de surréaliste».

Le renard de Rodange se faufile dans l’économie

La fiction face à la réalité, et cette zone ténébreuse de turbulences, née de cette confrontation : voilà ce qui intéresse l’artiste, comme en témoigne cette «antichambre» aux références cinématographiques (une moquette tendance Shining, un tambour éclaté qui renvoie à celui de Schlöndorff) combinées avec 19 dessins – aux traits doux et délicats – rappelant le Luxembourg et sa vie provinciale, la finance, la mondialisation, les icônes du pouvoir, du spectacle, l’Europe forteresse… Cette dernière, on la retrouve un peu plus loin, barrée d’une inscription au néon bleu «Nature morte», salle où le Grand-Duché est abordé dans son contexte européen.

Dans la foulée, on plonge dans la «forêt» de la Petite Suisse, carte postale du calme romantique et de la nature paisible. Mais on peut compter sur Filip Markiewicz pour «gâter» l’ensemble, et jouer au sucre sur la dent cariée. Ici, encore, une baignoire sanguinolente à la Marat, là, dans un coin, un renard, «celui de Michel Rodange», peut-être. À moins que ce ne soit un symbole, bête maligne en effet «capable de se faufiler entre les méandres de l’économie mondiale».

Après un crochet par des centres névralgiques du pouvoir en mode miniature – on découvre notamment les maquettes de la cathédrale de Luxembourg et du Parlement européen – sans oublier ce billet de banque géant, datant de 1943 et sur lequel est inscrit «Sorry» («Désolé d’être riche? De ne pas partager? Pour Jean-Claude Juncker?»), la balade s’achève dans un club disco, véritable «dancefloor» animé d’images psychédéliques… et de chaînes d’informations.

Logique, en somme, qu’après un karaoké version Raftside (projet musical solo de l’artiste), devant lequel le public du pavillon pourra notamment entonner Wind of Change, que tout cela s’achève dans des déhanchements frénétiques binaires. Plonger «de l’autre côté du miroir» et regarder la société droit dans les yeux laisse forcément des traces. Autant décompresser, mais tout «en restant vigilant», bien sûr…

Grégory Cimatti

Vernissage du pavillon : le 7 mai à partir de 18 h 30. Jusqu’au 22 novembre.

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