Un frère ou une sœur, n’est-ce pas finalement un «miroir trouble» de soi-même? C’est l’idée en tout cas défendue par Carole Lorang et Mani Muller dans leur nouvelle pièce Miroirs troubles, à découvrir à partir de vendredi au théâtre des Capucins.
La Compagnie du Grand Boube, menée par la metteuse en scène Carole Lorang et le dramaturge Mani Muller, poursuit, avec sa nouvelle pièce Miroirs troubles, son mélange des genres, des arts, des langues qui a fait sa renommée depuis dix ans à travers des spectacles tels que What About Noise?, Weird Scenes Inside the Gold Mine, Tout le monde veut vivre ou encore La Maison de Bernarda Alba.
Deux frères, deux sœurs, un frère et une sœur sont les six personnages de ce Miroirs troubles , nouvelle pièce de l’inséparable duo artistique : Mani Muller à l’écriture et Carole Lorang à la mise en scène. Des personnages qui « reflètent plusieurs facettes de cette relation exceptionnelle » que sont les liens fraternels, expliquent les artistes.
« C’est un projet très personnel , note celle qui est par ailleurs présidente de la Theater Federatioun, les rapports entre frères et sœurs c’est quelque chose qui m’a toujours beaucoup intéressée. Probablement parce que j’ai moi-même une relation très forte avec ma sœur et aussi parce que j’ai souvent rencontré des duos de sœurs et de frères qui étaient des amis inséparables. »
Mais pour ces Miroirs troubles , le duo ne s’intéresse pas juste à ses proches, il repart en arrière, plonge dans la mythologie – «le fils aîné du premier homme tue son frère par jalousie. Pour la survie de leur lignée, deux sœurs enivrent leur père et procréent des enfants avec lui», écrit-il dans le programme de la pièce – et s’inspire également de grandes œuvres littéraires – «d’Herman Melville à Klaus Mann, en passant par Maupassant et E. A. Poe». « Depuis l’aube de notre civilisation, il est question d’eux : à la recherche de leur identité, frères et sœurs se désirent et se rejettent. Leurs histoires sont d’amour et de haine. Comme des miroirs mis face à face, ils peuvent être l’alter ego l’un de l’autre ou, au contraire, un moi incomplet et son double angoissant », ajoutent-ils.
«Tu m’énerves, mais je t’aime quand même»
« Avec son frère ou sa sœur, on peu t très vite transgresser les limites , reprend Carole Lorang. Il y a l’interdit, l’inceste, qu’on traite aussi dans la pièce, mais aussi simplement le côté fusionnel. Tu peux presque tout faire subir à ta sœur ou à ton frère en sachant qu’elle ou il sera toujours là. C’est un rapport qui existe toujours malgré tout. Même si on est en mauvais terme, on reste frère et sœur. Alors que des amis disparaissent, qu’un couple peut divorcer. Là non. Quoi qu’il arrive c’est une relation éternelle. C’est fascinant. »
Fascinant aussi ce décor installé au théâtre des Capucins avec à la fois cette grande façade d’immeuble, ces livres et cette cave à vin. C’est là, dans un espace commun qui rappelle celui d’un kot belge, que se croisent et se recroisent les différents résidents de cette propriété. Là où les spectateurs font tour à tour connaissance avec l’histoire de chacun ou plutôt de chaque duo.
Il y a le fils qui vit avec sa mère, qui a du mal à se séparer d’elle et qui voit débarquer sa demi-sœur; il y a deux frères partageant le même studio avec l’aîné qui n’arrive pas à se débarrasser de son cadet et puis ces deux sœurs dont l’une se met toujours en avant, tandis que l’autre reste éternellement en retrait. Et dans cet espace commun, tout le monde se mêle des histoires des autres.
Si le récit est volontairement hors du temps, il n’est pas hors de l’espace. La pièce, bilingue français-allemand (avec surtitrages), tient à représenter une certaine réalité sociale et linguistique du Grand-Duché. Et comme Carole Lorang et Mani Muller n’aiment nullement la facilité, la pièce est également musicale, avec une chanteuse d’opéra et un accordeur de piano parmi les personnages, mais aussi un musicien electro qui interagit en direct avec le récit.
La pièce se veut on ne peut plus sérieuse, grave même par moments, avec de vrais questionnements mais aussi « un côté décalé, voire grotesque, propre à notre langage théâtral », précise la metteuse en scène qui ne cache pas qu’elle aimerait qu’en sortant de la représentation chaque spectateur « appelle son frère ou sa sœur pour prendre des nouvelles ou ne serait-ce que lui dire : « tu m’énerves, mais je t’aime quand-même! « ».
Pablo Chimienti
Théâtre des Capucins – Luxembourg. Première, vendredi 19 mai à 20 h. Puis vendredi 26 et mardi 30 mai, à 20 h. Infos sur www.theatres.lu