Un haut responsable allemand a dénoncé mardi la volonté «paranoïaque» de la Turquie d’espionner en Allemagne des partisans du prédicateur Fethullah Gülen, ouvrant un nouveau front dans la crise germano-turque.
«Concernant le comportement des autorités turques, nous devons très clairement dire (…) qu’il s’agit d’une peur du complot qu’on peut qualifier de paranoïaque», a indiqué le ministre de l’Intérieur de Basse-Saxe (nord-ouest), Boris Pistorius. Le responsable social-démocrate, autorité de tutelle des services régionaux de renseignement, a révélé qu’Ankara avait demandé à Berlin de l’aider à espionner 300 personnes et organisations à travers l’Allemagne jugées proches du mouvement Gülen, accusé par le pouvoir turc du putsch raté de l’été dernier.
«C’est tout à fait insupportable et inacceptable», a lancé Boris Pistorius, exhortant le gouvernement de la chancelière Angela Merkel, qui sort juste d’une violente passe d’armes avec la Turquie autour de la campagne sur le référendum turc du 16 avril, à trouver «les mots justes et clairs» face à Ankara. Le ministre allemand de l’Intérieur, Thomas de Maizière, a lui souligné que l’espionnage en Allemagne par des pays tiers était «passible de poursuites judiciaires». «Cela vaut pour tous les Etats étrangers et tous les services de renseignement», a-t-il dit. «Nous n’acceptons pas ce genre d’activités sur notre sol», a-t-il insisté.
De son côté, le chef de la diplomatie, Sigmar Gabriel, a jugé que si le renseignement turc était opérationnel sur le sol allemand, cela constituerait «une activité grave». «Il faut vraiment creuser l’affaire», a-t-il dit, selon l’agence dpa. Environ 10 à 15 de ces cibles, dont au moins une école et deux entreprises, se trouvent en Basse-Saxe et seront informées par les autorités régionales qu’elles sont espionnées et risquent à ce titre «des représailles pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement» en se rendant en Turquie, a précisé M. Pistorius.
Le ministre régional a affirmé ne disposer «d’aucun élément liant des partisans de Gülen à une quelconque infraction pénale», ou les impliquant «dans le putsch» déjoué en juillet dernier contre le président Recep Tayyip Erdogan.
Scepticisme sur Gülen
L’insistance d’Ankara à faire porter à Fethullah Gülen la responsabilité de ce coup d’État manqué a déjà été l’occasion de tensions germano-turques ces dernières semaines, parmi les nombreux sujets de discorde entre les deux pays. Les autorités turques ont convoqué mardi dernier le chargé d’affaires allemand à Ankara pour protester contre le fait que le patron des Renseignements extérieurs allemands (BND) Bruno Kahl ait exprimé des doutes sur l’implication du prédicateur exilé aux États-Unis.
Le patron du renseignement intérieur allemand, Hans-Georg Maassen, s’était lui inquiété début mars de la recrudescence des activités des services turcs en Allemagne. En Suède et au Danemark, des soupçons ont également vu le jour. Le 20 mars, le chargé d’affaires turc a ainsi été convoqué au ministère danois des Affaires étrangères pour évoquer avec lui les menaces adressées à des Turco-Danois critiques du président Erdogan.
Les relations entre la Turquie et l’Allemagne, ternies sur de nombreux fronts depuis la vaste répression engagée par Ankara après le putsch, s’étaient fortement dégradées en mars après l’annulation de meetings favorables au président Recep Tayyip Erdogan par plusieurs villes allemandes. Le chef de l’État turc avait alors accusé la chancelière Angela Merkel de «pratiques nazies». Les dirigeants turcs accusent aussi régulièrement les autorités allemandes de «soutenir le terrorisme», en l’espèce les séparatistes kurdes et les partisans du prédicateur Gülen.
Berlin s’inquiète pour sa part que la Turquie n’exporte en Allemagne les conflits opposant partisans et détracteurs de Recep Tayyip Erdogan d’une part, et Turcs et Kurdes d’autre part. Le regain de tension entre la Turquie et l’Europe, au-delà du seul cas allemand, survient à moins d’un mois du référendum sur une révision constitutionnelle visant à renforcer les pouvoirs présidentiels en Turquie, qui pourrait permettre à Recep Tayyip Erdogan de rester au pouvoir jusqu’en 2029. Le président turc est accusé par ses détracteurs de dérive autoritaire, notamment du fait des vastes purges qui ont frappé les médias et l’opposition.
Le Quotidien/AFP