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[Théâtre] « 7 janvier(s) » : sans humour et ses dérangeants trublions, point de démocratie !


L’ensemble de la pièce, fragmentée par des passages au noir, apparaît comme une uchronie pas si fantasmée que ça, portant en elle un conseil, urgent : il faut se battre et se faire entendre dès aujourd’hui pour éviter que le pire n’arrive demain. (photo Tania Feller)

Avec l’auteur de sombres polars Caryl Férey et le metteur en scène Gérald Dumont aux manettes, on est prévenus d’avance : la pièce « 7 janvier(s) » qui, comme son nom l’indique, revient sur le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo cette triste journée hivernale de 2015, ne sera pas une franche partie de rigolade.

C’est que les deux hommes, marqués dans leur chair par l’abominable attentat et l’atmosphère anxiogène en place depuis lors – combinée à la montée dangereuse du populisme – comptent bien utiliser le porte-voix qu’est la scène théâtrale pour mettre en garde leurs contemporains : sans humour et ses dérangeants trublions, point de démocratie !

Voilà le message d’une création, estampillée en partie « Kulturfabrik », et organisée dans une scénographie aux allures de ring : les acteurs au centre, et le public autour, afin de lui faire mieux sentir les souffles des combattants – qui s’acharnent à survivre – et éprouver cet univers proche d’un conte cauchemardesque détourné de Lewis Carroll, avec un chapelier fou (Serge Wolf, convaincant) et un lapin (Pierre Piétras, lubrique). En guise de décor, une décharge, et d’atmosphère musicale, la noise étouffante de Marc Sens.

Au milieu de ce champ de perdition, un homme et une femme. Le premier, Anton (Damien Olivier), ancien journaliste-écrivain, est traqué par une milice pour vol. La seconde, Leïla alias Lilas (Nathalie Grenat) – pseudonyme pour cacher ses origines comme la peinture blanche qui recouvre son visage – , est une réfugiée qui a fait 3 000 kilomètres pour quitter son ancien monde « qui n’existe plus », et qui cherche son fils, perdu en cours de route. Son pays d’accueil est malheureusement peu reluisant, mélange de dictature policière, libéralisme à tout crin et morale religieuse. Youpi… Forcément, dans cette société, implantée aux alentours des années 2050, le rire y est proscrit, les mots « sous haute surveillance », la dénonciation monnaie-courante, la paranoïa à la mode et la population reléguée à de simples numéros, parmi laquelle certains sont des véritables parias, des SIF (« sans identité fixe ») comme ils disent. Mais comme « un peu d’humanité ne fait pas de mal », notre duo va s’efforcer à faire refleurir les « souvenirs » d’un passé perdu…

En guise de préambule à cette plongée au cœur d’une civilisation d’immondices, Gérald Dumont, parfois la gorge étreinte, débitait une série de petites histoires, d’anonymes, sur leurs occupations le jour J, ce déprimant 7 janvier 2015. Vingt-quatre heures durant lesquelles « le temps s’est arrêté », suggérant que tout le monde se souvient, à sa manière, de la tragédie. De petits moments de vie face à un silence de mort. Ces deux parties réunies, l’ensemble de la pièce, fragmentée par des passages au noir, apparaît comme une uchronie pas si fantasmée que ça, portant en elle un conseil, urgent : il faut se battre et se faire entendre dès aujourd’hui pour éviter que le pire n’arrive demain. Sinon, des clowns seront morts pour rien.

Grégory Cimatti

Prochaine représentation samedi, 20h, à la Kulturfabrik (Esch-sur-Alzette)

 

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