Noces, coproduction grand-ducale (Tarantula) de Stephan Streker, sort mercredi en salle. Un film magnifique sur la liberté, les traditions, l’amour et tout ce qui peut se glisser entre eux.
Les belles surprises cinématographiques se succèdent en ce moment. Dernière en date : Noces, du réalisateur belge Stephan Streker (Le monde nous appartient), une coproduction luxembourgeoise.
Évidemment c’est injuste, on est des femmes !», lance Hina à Zahira, sa petite sœur. La première, après avoir profité de sa jeunesse, a fini par accepter la tradition en se résignant au mariage arrangé par ses parents avec un homme qu’elle ne connaissait pas. C’est peut-être injuste, mais finalement elle se dit heureuse. Mais voilà, Hina, elle, a envie de liberté, de faire ses propres choix, d’aimer le garçon qu’elle aura voulu. Ce à quoi ses parents, des Pakistanais de Belgique, ne peuvent se résoudre.
Les deux filles pourtant sont nées dans une famille ouverte, aimante et joyeuse. Les quatre enfants Kazim sont parfaitement intégrés, ils parlent français, font des études, ont des amis belges, sortent en boîte de nuit – le garçon officiellement, les filles en faisant le mur. Et même quand Zahira tombe enceinte à la suite d’une relation plus ou moins officielle avec un jeune Pakistanais, les parents résument la situation à une petite bêtise pas bien grave : après tout, il suffira de recoudre l’hymen !
Tout se passe donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. La famille, sans nager dans l’opulence, vit très correctement des revenus de sa petite épicerie. Zahira, elle, va à l’école, dort parfois chez ses copines belges, prie beaucoup, mais enlève le voile bien avant de passer les portes de son lycée. Bref, une vie d’adolescente normale.
Mais quand ses parents décident de la marier à un cousin du bled resté au Pakistan – elle peut néanmoins le choisir parmi trois prétendants, preuve d’ouverture, selon les parents – tout s’écroule. Car Zahira aime ses parents, son frère et sa petite sœur plus que tout. Elle ne veut ni leur faire de la peine ni les décevoir. La voilà donc en pleine lutte intérieure sur fond d’enjeux moraux. Elle doit choisir entre sa vie de femme libre en Belgique, ou sa famille, sa communauté, les traditions pakistanaises.
Car si elle refuse ce mariage, elle sait très bien qu’elle sera rejetée par les siens et que sa famille devra se résoudre à vivre désormais dans le déshonneur. Dans ce drame, qualifié de «tragédie grecque» par son réalisateur Stephan Streker, pas de regard moralisateur, pas d’ethnocentrisme européen, pas d’effets inutiles – il n’y a quasiment pas de musique –, mais au contraire, un film documenté, pertinent, avec une dimension politique certaine, mais qui essaye surtout, non d’excuser, mais de comprendre les différents personnages impliqués dans le récit, ainsi que leurs choix, aussi difficiles soient-ils.
Résultat, malgré la tragédie, le drame, l’horreur… il n’y a pas de méchant. Chacun a ses raisons. Chacun se croit légitime. Et au réalisateur de préciser : «La problématique évoquée dans Noces n’est pas une problématique liée à la religion (NDLR : musulmane). Elle est liée à la tradition (…) C’est la tradition que Zahira rejette et certainement pas sa religion.»
Lina El Arabi, la perle rare
Et pour porter ce film difficile, dans le rôle de Zahira, – «une héroïne de 2007, une Antigone de son époque» –, le réalisateur cherchait «une comédienne qui soit digne d’être une héroïne. Il me fallait une tragédienne. Je disais à mes producteurs « C’est Elizabeth Taylor qu’il nous faut ». Je voulais une actrice qui ne baisse pas la tête.» Et c’est chez une débutante, Lina El Arabi, qu’il a fini par trouver la perle rare. Arrivée sur le projet une toute petite semaine avant le début du tournage, cette Parisienne fait des merveilles. Non seulement elle est d’une grande beauté, mais elle donne surtout tout à son personnage. Chacun de ses questionnements moraux est clairement visible à l’écran, lisible sur son visage. Elle passe du français à l’ourdou sans difficulté. Elle donne, surtout, à Zahira une fierté incroyable et dans ses yeux on peut voir, selon les moments, tout l’amour du monde, une infinie tristesse ou encore une haine profonde. Parfois même dans une seule et même scène.
Résultat, elle est de tous les plans ou presque. Elle inonde le film par sa grâce – sa performance a d’ailleurs été couronnée du Valois de la meilleure actrice au festival du Film francophone d’Angoulême. Au point que le reste du casting – pourtant de qualité : Sébastien Houbani (également Valois du meilleur acteur à Angoulême), Babak Karimi (le juge dans le film Une séparation d’Asghar Farhadi), Olivier Gourmet (prix d’interprétation masculine au festival de Cannes)… – finit presque par sembler bien fade. C’est dire!
Noces est un film aussi difficile dans son récit que réussi dans sa forme. Un film fort, utile. On ressort de la salle de cinéma avec en bouche le goût de l’injustice. Avec des questionnements par dizaines. Avec l’envie d’améliorer les choses!
Pablo Chimienti
Noces, de Stephan Streker
Avant-première ce mardi soir à 19h30 à l’Utopolis (Luxembourg). En présence de l’équipe du film.
Dès mercredi à l’Utopia.